31 janvier 2003:
Jean-Arthur Tremblay, de l'équipe Auberge du ravage-Commençal supervélos,
nous raconte comment s'est déroulé le Raid Ukatak pour lui et ses trois
coéquipiers, Denise Hovington, Simon Côté et Guy Gilbert. Pas besoin de vous
rappeler qu'ils ont terminé en deuxième position et qu'ils nous ont tenu en
haleine pendant toute une semaine.
Pendant que nous nous plaignions du froid extrême en marchant sur la sloche gelée du petit matin en ville, pendant que nous nous blotissions dans nos couvertures en entendant le vent souffler dehors, ces quatre athlètes affrontaient des conditions de température incroyables. De leurs propres dires, « tous ceux qui participent à ce Raid (Québécois, Polonais, Suédois, Américains, Anglais, Français et autres) livrent la même guerre : guerre contre le parcours, guerre contre les éléments, et guerre contre l'organisation! ils disposent des mêmes armes et de la même quantité de munitions, il n'appartient qu'à eux d'en faire bon usage. Une journée au raid Ukatak, c'est 23 heures d'intense misère et une heure de sommeil, où le mental est mis à rude épreuve. » Voici donc le récit de Jean-Arthur, que j'ai interrompu impoliment à l'occasion et qu'on a illustré en noir ou blanc selon le jour ou la nuit. Ce témoignage sera peut-être une source d'inspiration quand au milieu d'une course, d'un raid, quand tout va mal et que le découragement se pointe. Bref, quand les temps sont durs, pensez aux ukatakeux de 2003.
Gilles : Pourquoi ils faisaient ça à Montréal? Et dodo à quelle heure? J.A. : Toutes les qualifications et vérifications se passaient à Montréal, question d'accessibilité pour les médias et pour les équipes qui arrivaient de l'extérieur (du pays), dodo a minuit. Samedi 18 janvier. Retour de Montréal vers la Malbaie, Auberge des trois Canards. Après avoir passé la soirée à consulter nos cartes et décider du parcours que nous allons prendre, nous nous apprêtons à nous "pieuter" dans notre lit moelleux en se disant à la blague que ce sera la dernière fois pour les prochains jours. Dimanche 19 janvier. Dernier préparatifs et petit dèj genre de brunch gastronomique digne des plus grands hôtels,quand on sait que les prochains se feront dehors a -30°. Incroyable, on commence déjà à nous miner le moral. 10h00 Coup de départ pour un 100km de bike, ça roule bien, ça grimpe beaucoup et la température est bien jusqu'à l'entrée du parc des grands jardins, après, le vent est glacial et les descentes sont on ne peut plus froides, enfin on arrive au pc3 L'Auberge du ravage (notre commanditaire officiel, encore merci à Jacquelin Tremblay d'avoir cru en nous) nous sommes 6 ième a environ 3 minutes des Polonais. Gilles :à combien des meneurs? 1 heure? J.A. : oui, une heure Gilles :Quelle heure il est? J.A. : 20h45 Gilles : Rouliez-vous en pack tout ce temps? ça roulait vite ou vous en gardiez sous la pédale? J.A. :ça roulait en pack a l'occasion, mais plus souvent ça se passait et se repassait, ça roulait bon train mais on s'en gardait quand même.
![]() Gilles : quelle heure? J.A. : Environ 7h00 du mat. Après avoir fait le plein d'énergie et d'eau, nous repartons vers le pc5, surprise, après seulement quelques mètres de ski, le peloton chausse les raquettes pour couper à travers brousse, nous sommes les seuls a poursuivre notre chemin en ski. (nous avons en permanence avec nous les raquettes et les skis ils nous appartient de choisir ce qui nous apparaît comme le plus efficace des deux) Le parcours est plus long mais notre progression en ski est beaucoup plus rapide qu'en raquette... Erreur! le parcours en raquette étant vraiment plus court et surtout moins accidenté, ils entreprennent la descente du canyon de la rivière aux martres avant nous. Cette fameuse descente est infernale. En tout, 4 heures sans arrêt à accrocher nos skis et nos vêtements dans les branches, à contourner les précipices et à éviter les chutes de glaces si dangereuses. Non sans avoir peiner, nous atteignons la rivière aux martres en même temps que Subaru Canada (nous étions partis du haut en même temps dans des chemins différents) nous avons une pensée pour tous ceux qui devront se taper cette section de nuit car nous sommes à la tombée du jour, nous arrivons au PC5, hautes gorges de la rivière Malbaie. On bouffe, on refait le plein d'eau et on repart pour les deux sommets (Mont Jérémie et Élie) en ski.
![]() Gilles : (Note)La course est stoppée pour permettre la recherche de l'équipe BCG-ING qui est dans le trouble. Recherches qui ont suscité l'ire des sédentaires urbains obtus. De retour au chalet, nous constatons que le poêle se met a fumer incroyablement,un bloc de glace dans le tuyau s'est détaché et a bloqué ce dernier, nous suffoquons et sommes obligés d'évacuer vers le camp voisin. On repart à zéro. Les secours arrivent et emmènent nos rescapés vers le Geai bleu et nous mentionnent qu'il n'est pas question que l'on reparte la course d'ici. Nous aussi devons retourner à deux heures plus bas. Arrivés au geai bleu, tout le monde est là, les Polonais nous regardent entrer d'un air satisfait, eux aussi comme nous, ont dû rebrousser chemin. Par contre, plusieurs équipes ont plutôt profité d'une bonne nuit de repos à la chaleur et du même coup récupéré le retard qu'ils avaient sur nous. Il ne manque que Subaru Canada qui ne sont pas encore rentrés mais qui sont sur le chemin du retour et les Suédois qui, eux, n'ont pas été rejoints et poursuivent leur progression. Gilles : (note éditoriale) Le cafouillage des organisateurs face au sauvetage de l'équipe BCG-ING a modifié le déroulement de la course et favorisant les suédois, au détriment des québécois. C'est inacceptable. Surveillez bien la suite... Aussitôt arrivés, on annonce que l'on procède au départ dans quelques minutes. Nous n'avons même pas le temps de faire sécher nos vêtements qui puent la fumée à 5 kilomètres à la ronde. À peine le temps de remplir les bidons d'eau que le départ est lancé. Nous ne sommes pas prêts et nous nous retrouvons avant-derniers. Gilles :Donc on peut dire que la course s'est jouée ici pour vous face aux suédois, qui n'ont pas eu à rebrousser chemin? J.A. : Exactement. c'est ce qui explique l'avance des Suédois sur notre équipe. Gilles : (note) Et c'est ici que ça se met à aller vraiment mal!
![]() Départ vers PC9, sommet du mont Édouard. Nous choisissons les skis pour cette étape très longue. le trajet se fait assez bien et le moral est bon sauf qu'avec le froid il est difficile de boire et de manger, l'eau gèle facilement, ce qui a pour effet de nous déshydrater. On commence à en ressentir les effets. Arrivés au pied du mont Édouard, nous troquons nos skis au profit des raquettes, surprise! derrière moi arrive Maciek le capitaine des Polonais. De la façon qu'il me regarde, je m'aperçois que quelque chose ne va pas. Il me mentionne qu'il se sont perdus. Nous entamons la montée du mont au coude à coude. Il doit faire -34° et il est en camisole de polypropylène, son gore tex attaché à la taille. Après quelques mètres, il prend déjà de l'avance (croyez-moi, celui-là, c'est tout un athlète). Arrivés à une intersection, nous optons pour la droite et eux pour la gauche. Nous arrivons au sommet (PC9) derrière eux. On nous avise que la descente prévue en snow scoot n'aura pas lieu. La raison? il fait -40° et les vents sont déments. Nous entreprenons notre descente à la course. Les quadriceps en prennent pour leur rhume. Arrivés au bas, (chalet de ski, PC10) une bonne bouffe accompagnée d'un séchage de vêtements et d'un dodo de 30 minutes.
![]() Après une heure de sommeil, Denise me réveille en me disant de me presser, qu'il faut partir dans les prochaines trente minutes. Je vais très mal, j'ai mal au coeur et je n'ai vraiment plus le goût de rien. Tel un robot, je prépare mes choses sans parler et je vois bien que mes coéquipier ressentent mon désarroi mais respectent mon état et s'affairent à préparer leurs choses. C'est le départ vers la boucle extrême (un petit extra de 17 heures). Nous partons à ski, sans trop de vigueur, dans un sentier magnifique. Après quelques kilomètres, j'ai de bonnes sensations. Mes skis glissent bien et le parcours est une suite de descentes et de petites montées qui longe la rivière du Petit Saguenay. Le décor est magnifique. Nous traversons à travers champs pour atteindre une pourvoirie. Pour la première fois depuis notre départ, il fait soleil et je sens que le moral des troupes est revenu à son meilleur. Nous atteignons le PC16. Nous n'arrêtons que quelques instants, pour faire le plein et poursuivons vers le PC17. Nous glissons lentement à travers les rapides de la rivière Portage lorsque j'aperçois devant moi nos amis Suédois qui sont sur leur retour. Après les salutations d'usage, je leur fais part à la blague que nous apprécions beaucoup la piste qu'ils nous on tracée sauf que nous aurions aimé qu'ils fassent moins de détours. Ils me répondent en riant qu'ils allaient remédier à la situation. (à ce moment, selon notre estimé, ils ont 3 heures d'avance. Ils m'apparaissent assez fatigués, surtout la fille). À la sortie de la rivière, nous troquons nos skis pour les raquettes. Après une montée à faire éclater les mollets, nous atteignons le PC17. Nous bouffons et décidons de dormir une heure avant de procéder au retour. Nous entendons sur les ondes radio des bénévoles des commentaires du genre : « ils semblent qu'ils prennent leur temps et décident de ne pas repartir tout de suite » On sent que les gens sont avec nous et ne veulent pas que l'on prenne trop de retard. Malgré cela, c'est dodo pour une heure pas plus, cut off oblige, car depuis que nous sommes dans la boucle extrême, il y a des cut off à respecter sous peine d'être disqualifiés. (c'est à dire une heure limite pour quitter les PC).
![]() Enfin on arrive au PC21. C'est pas trop tôt, la petite ballade en vélo commençait à être drôlement dangereuse. On chausse les skis, enfin, dernière étape! Nous estimons notre arrivée à midi au Mont Grand Fonds. La neige est très abrasive, la glisse est pourrie mais le soleil est radieux. On s'arrête pour consulter la carte... malheur! pas de carte! eh oui! on a oublié la carte! Gilles : Au PC 21? J.A. : Ouais au PC21 dans nos bagages que l'organisation s'est empressé de ramasser et de repartir avec à l'arrivée snif! snif! Comment on a pu faire une chose pareille?!? Pourtant, on en avait parlé mais dans la confusion et la fatigue nous l'avons oubliée. Pas grave, on skie à peu près... on s'informe aux motoneigistes qui nous disent n'importe quoi. Il y en a même un qui me dit qu'il reste 6.5 kilomètres... j'ai dû skier au moins 30 kilomètres après! On commence à s'impatienter passablement. On a l'impression de tourner en rond et le temps passe effroyablement. À un moment donné, on trouve une pancarte avec écrit dessus UKATAK Youppi! C'est par ici! On grimpe,grimpe,grimpe et grimpe encore pour enfin arriver aux traîneaux à chiens. Après une petite leçon accélérée sur le métier de musher, on s'élance avec nos clébards vers le mont grand fonds (c'est la seule fois où j'ai eu froid pendant le raid) Gilles : Combien de temps en traîneau à chien? J.A. :30 a 35 minutes. L'ARRIVÉE EST LÀ, il est 16h00!(4 heures plus tard que prévu) Amis (es) et journalistes sont la pour nous accueillir. Ça fait chaud au c¦ur. Après les congratulations et les embrassades, nous promettons que plus jamais nous ne répèterons l'expérience ???? Gilles : pourquoi les ??? Vous êtes pas sûrs de votre promesse? J.A. : Ouais, si tu m'avais posé la question tout de suite à l'arrivée, c'est clair que c'était NON, mais déjà après quelques jours de repos je suis beaucoup moins sûr ??? Un autre point aussi que j'aimerais préciser,contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, il n'existe pas de trajet court et de long à Ukatak, il n'existe que le raid Ukatak et un petit plus pour ceux qui se classent pour le parcours extrême. Ce que certains ont appelé le parcours court ce ne sont rien de plus que des équipes qui ont abandonné, donc il n'ont pas fait Ukatak. Gilles : Selon toi, ils devraient pas permettre cela? J.A. :Je suis catégorique la dessus! Non! ils ne devraient pas permettre ça, c'est comme si au raid Pierre Harvey j'abandonnais pendant la première étape avant le lac Talbot et que l'organisation me déménageait à la forêt Montmorency pour faire la dernière étape avec un classement qui s'appellerait le R.P.H trajet court. Excuse moi, mais dans ma tête, j'ai abandonné, c'est tout. Gilles : Ils devraient être moins sévères sur les cut-offs, pour avoir plus d'équipes dans la même course? J.A.: les cut-offs n'existent que dans le parcours extrême et a mon avis il ne devraient pas être moins sévère car si ils l'étaient, ça changerait trop l'allure de la course, certaines équipes en profiteraient pour prolonger leur arrêt dans les pc (3 à 4 heures) ça n'aurait plus de fin. Gilles :Ils vous ont payé votre 4000$? J.A. : Non, pourquoi? tu doutes????,,au fait c'est 4250$ qu'il nous doivent car j'ai mis 250$ en garantie pour la radio d'urgence, j'ai retourné la radio mais le 250$ est pas revenu. Gilles : Comment t'as trouvé l'organisation? Ont-ils un avenir? J.A. : Disons que nous l'organisation on en a pas eu affaire beaucoup, on a fait notre course peinard en autonomie complète, d'ailleurs il l'ont souligné à la remise des prix. Par contre, je sais que les équipes qui ont été dans le besoin étaient plus ou moins satisfaits du support qu'ils ont eu. Il faut comprendre que c'est très compliqué à organiser une chose comme ça, tu couvres beaucoup de territoire et tu as beaucoup de gens au terrain, pas facile du tout. Tant qu'à l'avenir du raid je ne suis pas inquiet, on a qu'à regarder cette année il y avait 18 équipes au départ dont 9 du Québec c'est signe qu'il y a engouement pour ce genre d'épreuve. Je connais plein de Québécois qui réussiraient bien la dedans.
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