Le récit de J.A.:125 heures dans l’enfer blanc d’Ukatak

Jean-Arthur Tremblay, de l’équipe Auberge du ravage-Commençal supervélos, nous raconte comment s’est déroulé le Raid Ukatak pour lui et ses trois coéquipiers, Denise Hovington, Simon Côté et Guy Gilbert. Pas besoin de vous rappeler qu’ils ont terminé en deuxième position et qu’ils nous ont tenu en haleine pendant toute une semaine.

Pendant que nous nous plaignions du froid extrême en marchant sur la sloche gelée du petit matin en ville, pendant que nous nous blotissions dans nos couvertures en entendant le vent souffler dehors, ces quatre athlètes affrontaient des conditions de température incroyables. De leurs propres dires, « tous ceux qui participent à ce Raid (Québécois, Polonais, Suédois, Américains, Anglais, Français et autres) livrent la même guerre : guerre contre le parcours, guerre contre les éléments, et guerre contre l’organisation! ils disposent des mêmes armes et de la même quantité de munitions, il n’appartient qu’à eux d’en faire bon usage. Une journée au raid Ukatak, c’est 23 heures d’intense misère et une heure de sommeil, où le mental est mis à rude épreuve. »

Voici donc le récit de Jean-Arthur, que j’ai interrompu impoliment à l’occasion et qu’on a illustré en noir ou blanc selon le jour ou la nuit.

Ce témoignage sera peut-être une source d’inspiration quand au milieu d’une course, d’un raid, quand tout va mal et que le découragement se pointe. Bref, quand les temps sont durs, pensez aux ukatakeux de 2003.

Dépliez la carte pour suivre le déroulement des aventures de J.A.

Vendredi 17 janvier. Nous sommes a Montréal pour l’étape de vérification du matériel et des compétences. Tout le matériel est vérifié et revérifié question de voir à ce qu’il ne manque rien à la liste de matériel obligatoire, s’en suit les test d’aptitudes en navigation à l’aide de cartes et boussoles ainsi que séances de rappel avec matériel d’escalade sur une structure de métal monté pour les besoins. Ensuite briefing,remise des cartes et dodo.

Gilles : Pourquoi ils faisaient ça à Montréal? Et dodo à quelle heure?

J.A. : Toutes les qualifications et vérifications se passaient à Montréal, question d’accessibilité pour les médias et pour les équipes qui arrivaient de l’extérieur (du pays), dodo a minuit.

Samedi 18 janvier. Retour de Montréal vers la Malbaie, Auberge des trois Canards. Après avoir passé la soirée à consulter nos cartes et décider du parcours que nous allons prendre, nous nous apprêtons à nous « pieuter » dans notre lit moelleux en se disant à la blague que ce sera la dernière fois pour les prochains jours.

Dimanche 19 janvier. Dernier préparatifs et petit dèj genre de brunch gastronomique digne des plus grands hôtels,quand on sait que les prochains se feront dehors a -30°. Incroyable, on commence déjà à nous miner le moral.

10h00 Coup de départ pour un 100km de bike, ça roule bien, ça grimpe beaucoup et la température est bien jusqu’à l’entrée du parc des grands jardins, après, le vent est glacial et les descentes sont on ne peut plus froides, enfin on arrive au pc3 L’Auberge du ravage (notre commanditaire officiel, encore merci à Jacquelin Tremblay d’avoir cru en nous) nous sommes 6 ième a environ 3 minutes des Polonais.

Gilles :à combien des meneurs? 1 heure? J.A. : oui, une heure Gilles :Quelle heure il est? J.A. : 20h45 Gilles : Rouliez-vous en pack tout ce temps? ça roulait vite ou vous en gardiez sous la pédale? J.A. :ça roulait en pack a l’occasion, mais plus souvent ça se passait et se repassait, ça roulait bon train mais on s’en gardait quand même.

Nous devons installer notre tente sur le lac face à l’auberge pour tester notre matériel de survie pendant 4 heures,il fait froid et nos vêtements sont déjà imprégnés des efforts de l’étape à vélo, Guy et Simon se sont gelé les orteils mais le personnel médical est rassurant et nous laisse continuer, nous en profitons pour dormir un petit 50 minutes. Notre 4 heures de survie est terminé, au départ du pc3 nous sommes à 1 heure derrière les Suédois et quelque minutes des Polonais. Après quelques kilomètre dans les traces de nos prédécesseurs nous décidons de couper à travers brousse. Bonne initiative de la part de Simon, un navigateur hors pair (Simon est de ceux qui ne se contentent pas de suivre les autres équipes dans leurs traces, un king, le meilleur) nous arrivons premiers au pc4 suivi des Polonais, des Suédois,Subaru Canada et d’une autre équipe du Québec (camping le Génévrier)

Gilles : quelle heure? J.A. : Environ 7h00 du mat.

Après avoir fait le plein d’énergie et d’eau, nous repartons vers le pc5, surprise, après seulement quelques mètres de ski, le peloton chausse les raquettes pour couper à travers brousse, nous sommes les seuls a poursuivre notre chemin en ski. (nous avons en permanence avec nous les raquettes et les skis ils nous appartient de choisir ce qui nous apparaît comme le plus efficace des deux)

Le parcours est plus long mais notre progression en ski est beaucoup plus rapide qu’en raquette… Erreur! le parcours en raquette étant vraiment plus court et surtout moins accidenté, ils entreprennent la descente du canyon de la rivière aux martres avant nous. Cette fameuse descente est infernale. En tout, 4 heures sans arrêt à accrocher nos skis et nos vêtements dans les branches, à contourner les précipices et à éviter les chutes de glaces si dangereuses. Non sans avoir peiner, nous atteignons la rivière aux martres en même temps que Subaru Canada (nous étions partis du haut en même temps dans des chemins différents) nous avons une pensée pour tous ceux qui devront se taper cette section de nuit car nous sommes à la tombée du jour, nous arrivons au PC5, hautes gorges de la rivière Malbaie. On bouffe, on refait le plein d’eau et on repart pour les deux sommets (Mont Jérémie et Élie) en ski.

Le parcours grimpe sans cesse et nous faisons un détour vers le chalet du geai bleu car il y aurait un poste de ravitaillement, faux, le chalet est barré et il n’y a rien.

Gilles :Poste de ravitaillement en principe organisé par Ukatak, sans être un PC? J.A. : il n’était pas prévu qu’il y ait un pc , mais une autre équipe nous ont dit que l’on pouvait se ravitailler en eau, ce qui s’est avéré faux.

Nous poursuivons notre ascension et commençons à entendre au dessus de nos têtes le vent qui souffle de plus en plus fort. Tout à coup, à la hauteur du lac noir, le vent est tellement fort que nous ne pouvons tenir sur nos pieds. C’est complètement débile. Nous prenons la décision de ne pas nous rendre au Sommet, car il serait dangereux pour notre santé de le faire. Par contre, nous ne voulons pas rebrousser chemin et perdre les précieux kilomètres de montées que nous venons de faire. La solution, camper sur place en attendant un répit de dame nature. Nous regardons notre carte et apercevons qu’il y a des camps sur les rives du lac. Nous commençons notre recherche pour enfin tomber sur ce qui fera l’affaire, nous ouvrons la porte.

Gilles : Tu veux pas le dire que vous avez défoncé??? J.A. : Au contraire, je n’ai pas de problème avec ça, de toute façon, tout le monde le sait qu’on a défoncé le chalet (même l’organisation) car nous étions en survie et avec les vents il était impensable de camper notre tente. Petit fait cocasse, le lendemain avant de partir en faisant une petite tournée, on s’est aperçu que le chalet voisin avait aussi été défoncé par une équipe (on soupçonne Subaru Canada d’être les auteurs)

Nous nous installons. Il fait effroyablement froid, le poêle que nous avons allumé ne réchauffe pas du tout l’intérieur. Le vent souffle incroyablement, la porte s’ouvre d’un coup laissant apparaître des raideurs à la recherche eux aussi d’un abri d’urgence, ils sont assez mal en point ,les pieds gelés. Ils ont essayé de communiquer avec leur radio d’urgence le quartier général du raid, sans succès.

Gilles; Quelle équipe? ils sont dans le trouble et veulent abandonner? J.A. : C’est l’équipe du Génévrier Baie St Paul. Ils sont déjà disqualifiés puisqu’un de leurs équipiers a abandonné au pc4 (pieds gelés) ils avaient décidé de poursuivre à trois, mais là, ils sont gelés ils ne peuvent plus progresser et veulent abandonner (ce qu’ils ont fait).

Nous leurs laissons la place près du poêle, les pieds dans le fourneau. Ils se réchauffent tant bien que mal, pendant ce temps, je prends leur radio et avec Denise, nous descendons un peu dans la montagne pour communiquer, après plusieurs appels, quelqu’un me répond. Je l’avise qu’une équipe est en difficulté au lac noir et d’envoyer des secours, je lui confirme que notre équipe est bloquée elle aussi, mais que tout le monde est bien et que nous attendons que le vent diminue pour poursuivre. Il me mentionne que la course est stoppée et de ne pas bouger avant d’en avoir reçu l’ordre.

Gilles : (Note) La course est stoppée pour permettre la recherche de l’équipe BCG-ING qui est dans le trouble. Recherches qui ont suscité l’ire des sédentaires urbains obtus.

De retour au chalet, nous constatons que le poêle se met a fumer incroyablement,un bloc de glace dans le tuyau s’est détaché et a bloqué ce dernier, nous suffoquons et sommes obligés d’évacuer vers le camp voisin. On repart à zéro. Les secours arrivent et emmènent nos rescapés vers le Geai bleu et nous mentionnent qu’il n’est pas question que l’on reparte la course d’ici. Nous aussi devons retourner à deux heures plus bas.

Arrivés au geai bleu, tout le monde est là, les Polonais nous regardent entrer d’un air satisfait, eux aussi comme nous, ont dû rebrousser chemin. Par contre, plusieurs équipes ont plutôt profité d’une bonne nuit de repos à la chaleur et du même coup récupéré le retard qu’ils avaient sur nous. Il ne manque que Subaru Canada qui ne sont pas encore rentrés mais qui sont sur le chemin du retour et les Suédois qui, eux, n’ont pas été rejoints et poursuivent leur progression.

Gilles : (note éditoriale) Le cafouillage des organisateurs face au sauvetage de l’équipe BCG-ING a modifié le déroulement de la course et favorisant les suédois, au détriment des québécois. C’est inacceptable. Surveillez bien la suite…

Aussitôt arrivés, on annonce que l’on procède au départ dans quelques minutes. Nous n’avons même pas le temps de faire sécher nos vêtements qui puent la fumée à 5 kilomètres à la ronde. À peine le temps de remplir les bidons d’eau que le départ est lancé. Nous ne sommes pas prêts et nous nous retrouvons avant-derniers.

Gilles :Donc on peut dire que la course s’est jouée ici pour vous face aux suédois, qui n’ont pas eu à rebrousser chemin?

J.A. : Exactement. c’est ce qui explique l’avance des Suédois sur notre équipe.

Gilles : (note) Et c’est ici que ça se met à aller vraiment mal!

Le deux PC 6 et 7 ont été éliminés. Nous nous dirigeons vers le PC 8, lac Pilote. Nous commençons notre ascension vers le mont Élie via la ligne d’hydro. Le vent est horrible. Les bourrasques sont démentes et le bruit est assourdissant. On dirait un CF18 qui nous survole à 3 mètres au dessus de la tête. Il doit faire -56°. Notre matériel vole de tous cotés. Nous culbutons avec nos sacs à dos à travers les pierres sur des distances de 20 a 30 mètres. Bref, c’est la panique totale… et nous devons continuer! Il est impensable de rebrousser chemin,et compte tenu de la fiabilité de nos radios d’urgence mieux vaut ne pas y penser. Cette fois ci nous sommes sûrs que notre dernière heure a sonné.

Denise nous demande (question de se faire rassurer) : Est-ce qu’on va s’en sortir??? Devant notre hésitation à répondre, elle comprend bien que nous aussi on en doute… Aussi, elle nous dit qu’au prochain PC elle abandonne, nous poursuivons notre calvaire en nous faisant basculer à maintes reprises, même qu’à un moment donné, Guy est transporté par une bourrasque d’une telle force qu’il me passe par dessus et reste accroché à mon sac à dos, m’entraînant avec lui sur des pierres… ayoyye les genoux!!

Nous choisissons d’emprunter des chemins un peu plus longs mais plus à l’abri du vent, qui devraient nous emmener à un abri d’urgence. Ce petit détour rallonge d’une bonne heure mais devrait être salutaire puisque nous pourrons refaire le plein d’énergie et d’eau. Arrivés sur le lac de l’abri, nous constatons qu’il y a beaucoup d’équipes derrière nous. Simon me mentionne qu’il serait agréable de se présenter les premiers à l’abri, question de remporter cette étape apocalyptique, et c’est à la course que nous terminons cette étape bons premiers.

Pendant que nous enlevons nos raquettes et félicitons Simon pour son excellente navigation, Denise réitère son envie d’abandonner. Je lui demande alors pourquoi, elle ne sait quoi répondre. Nous lui disons que nous prendrons le temps de bouffer et de dormir une heure et qu’après nous verrons le tout.

Ce temps d’arrêt et de réflexion nous a fait comprendre que le but de l’organisation était de nous faire craquer psychologiquement et qu’elle a réussi avec plusieurs et presque réussi avec nous aussi. Sauf qu’à partir de maintenant, la guerre était déclarée et nous avions décidé que jamais ils n’auraient notre peau.

Gilles : Là, explique-moi, pourquoi l’organisation voudrait vous casser, elle n’a pas avantage? C’est du délire paranoïaque!?! 🙂

J.A. : au contraire, l’organisation d’un raid d’aventure extrême mesure son taux de réussite au nombre d’équipes qui abandonne. Si tout le monde réussit ç’est un échec, c’est ça la philosophie des raids extrêmes.

Bien que ce soit une section plus rapide en ski, nous préférons les raquettes car il fait froid et nous pouvons conserver notre chaleur plus facilement de cette façon. Arrivés au PC 8, une résidence magnifique décorée pour la fête de Noël en plein milieu de la forêt, les hôtes, des retraités charmants qui ont choisi de vivre à l’écart de la civilisation (je me demande si tout ça est réel, ou si les hallucinations font leurs effets) la dame nous offre de la soupe, chose que nous acceptons avec plaisir. Nous bouffons et nous épatons ainsi nos hôtes par notre menu, car ce soir, il y a du poulet aux abricots, agneau aux pleurotes et saumon aux amandes et légumineuses (disponible chez la Papillote).

Après ce festin, petit dodo d’une heure.

Départ vers PC9, sommet du mont Édouard. Nous choisissons les skis pour cette étape très longue. le trajet se fait assez bien et le moral est bon sauf qu’avec le froid il est difficile de boire et de manger, l’eau gèle facilement, ce qui a pour effet de nous déshydrater. On commence à en ressentir les effets.

Arrivés au pied du mont Édouard, nous troquons nos skis au profit des raquettes, surprise! derrière moi arrive Maciek le capitaine des Polonais. De la façon qu’il me regarde, je m’aperçois que quelque chose ne va pas. Il me mentionne qu’il se sont perdus. Nous entamons la montée du mont au coude à coude. Il doit faire -34° et il est en camisole de polypropylène, son gore tex attaché à la taille. Après quelques mètres, il prend déjà de l’avance (croyez-moi, celui-là, c’est tout un athlète). Arrivés à une intersection, nous optons pour la droite et eux pour la gauche. Nous arrivons au sommet (PC9) derrière eux.

On nous avise que la descente prévue en snow scoot n’aura pas lieu. La raison? il fait -40° et les vents sont déments. Nous entreprenons notre descente à la course. Les quadriceps en prennent pour leur rhume. Arrivés au bas, (chalet de ski, PC10) une bonne bouffe accompagnée d’un séchage de vêtements et d’un dodo de 30 minutes.

A notre départ à pied par la route, les Polonais ne sont toujours pas repartis et nous semblent mal en point, nous progressons rapidement et choisissons de ne pas nous arrêter plus de deux minutes au PC13.

Gilles : (note) PC 10 au PC 13, c’est du Mont-Édouard jusqu’au Village de l’Anse Saint-Jean, par l’asphalte. Méchante trotte plate. Ça devait être du vélo et du cerf-volant à ski, via Rivière Éternité, mais cette boucle fut cancellée.

Nous poursuivons notre chemin vers Petit Saguenay via le sentier des caps du parc Saguenay. Le sentier est étroit et très difficile, la descente du mont Édouard se fait ressentir. Les hallucinations sont omniprésentes… je suis deuxième, derrière Denise. Je n’arrive pas à suivre, je suis en déséquilibre total. Je n’arrive pas à rester sur le sentier, c’est comme si je marchais sur un fil de fer. Je trébuche, me relève et continue de peine et de misère. Les kilomètres passent très très lentement, mes pieds sont enflés. Chaque descente me fait souffrir à mort (je n’ai jamais bunké de la sorte) mis à part Denise, mes comparses ne sont guère mieux puisqu’ils n’arrivent pas à me suivre, moi qui ai un pace de limace. Le sentier nous paraît interminable et entretemps je songe au rappel en escalade au PC14 (100 mètres de vertical) que nous devons faire après cette étape et je me dis que c’est impossible étant donné notre état de Zombie avancée.

Nous arrivons au PC15, qui est une aire de transition avant le PC14 (rappel) Nous avons décidé, étant donné notre état, de se coucher ici et de faire sécher nos vêtements transis avant de procéder au rappel.

C’est incroyable! Nous qui pensions arriver ici et être tranquille pour se reposer, au contraire c’est plein de monde. Du monde qui ont abandonné au PC4 et que l’organisation ont emmenés ici pour leur donner une chance de compléter le parcours court comme il l’on appelé (foutaise!)

Ils ont mobilisé les places pour dormir et les places près du poêle pour faire sécher le linge, rien pour nous remonter le moral. Les Suédois sont là et ils se préparent à se coucher. En nous voyant, ils sont très déçus car ils doivent plutôt se diriger vers la boucle extrême, chose qu’ils n’avaient pas l’intention de faire du tout puisqu’ils étaient les seuls qualifiés jusqu’à ce moment, mais les choses devaient changer puisque nous disposions encore de deux heures pour faire le rappel et se classer aussi pour la boucle extrême. Nous avisons l’organisation de notre décision mais on nous mentionne qu’ils nous est interdit de s’arrêter au PC15 pour se reposer tant et aussi longtemps que le rappel (PC 14) ne soit fait. Nous sommes très déçus car nous n’avons plus d’énergie. Nos vêtements sont mouillés et nous dormons debout. Devant les faits nous n’avons d’autre alternative que de procéder au Rappel. Nous enfilons ce qui nous reste de vêtements chauds et nous dirigeons vers le sentier qui doit nous emmener à la paroi, non sans avoir cherché, nous arrivons au sommet. Il vente effroyablement. Les guides de montagne nous crient pour se faire entendre… Rendu au bord de la corniche, suspendu dans le vide, le vent s’amuse à me balancer et me faire tournoyer. Après quelques minutes, mes pieds touchent terre, c’est terminé. Objectif Réalisé. Nous sommes classés pour la boucle extrême, une première au Canada! À cette idée, j’ai les larmes aux yeux. Tant d’efforts, c’est inhumain. On retourne au PC15 pour enfin se reposer et vlan! on nous félicite et du même coup nous avise qu’il faut partir très rapidement du PC, sous peine d’être disqualifiés du parcours extrême. Le mental en prend un coup, on essaie de nous faire craquer encore car il est impossible de reprendre la route dans cet état. Sur ce, je m’endors en oubliant tout.

Gilles : Je commence à comprendre votre « paranoïa » : ils improvisent les règles au fur et à mesure!

J.A. :exactement, ça mine le moral pas à peu près.

Après une heure de sommeil, Denise me réveille en me disant de me presser, qu’il faut partir dans les prochaines trente minutes. Je vais très mal, j’ai mal au coeur et je n’ai vraiment plus le goût de rien. Tel un robot, je prépare mes choses sans parler et je vois bien que mes coéquipier ressentent mon désarroi mais respectent mon état et s’affairent à préparer leurs choses.

C’est le départ vers la boucle extrême (un petit extra de 17 heures). Nous partons à ski, sans trop de vigueur, dans un sentier magnifique. Après quelques kilomètres, j’ai de bonnes sensations. Mes skis glissent bien et le parcours est une suite de descentes et de petites montées qui longe la rivière du Petit Saguenay.

Le décor est magnifique. Nous traversons à travers champs pour atteindre une pourvoirie. Pour la première fois depuis notre départ, il fait soleil et je sens que le moral des troupes est revenu à son meilleur.

Nous atteignons le PC16. Nous n’arrêtons que quelques instants, pour faire le plein et poursuivons vers le PC17. Nous glissons lentement à travers les rapides de la rivière Portage lorsque j’aperçois devant moi nos amis Suédois qui sont sur leur retour. Après les salutations d’usage, je leur fais part à la blague que nous apprécions beaucoup la piste qu’ils nous on tracée sauf que nous aurions aimé qu’ils fassent moins de détours. Ils me répondent en riant qu’ils allaient remédier à la situation. (à ce moment, selon notre estimé, ils ont 3 heures d’avance. Ils m’apparaissent assez fatigués, surtout la fille).

À la sortie de la rivière, nous troquons nos skis pour les raquettes. Après une montée à faire éclater les mollets, nous atteignons le PC17. Nous bouffons et décidons de dormir une heure avant de procéder au retour. Nous entendons sur les ondes radio des bénévoles des commentaires du genre : « ils semblent qu’ils prennent leur temps et décident de ne pas repartir tout de suite » On sent que les gens sont avec nous et ne veulent pas que l’on prenne trop de retard. Malgré cela, c’est dodo pour une heure pas plus, cut off oblige, car depuis que nous sommes dans la boucle extrême, il y a des cut off à respecter sous peine d’être disqualifiés. (c’est à dire une heure limite pour quitter les PC).

Le retour du PC17 se fait en descente par la rivière Portage. Il ne vente plus, le canyon qui nous entoure se découpe sous la voûte céleste étoilée… c’est inimaginable comme ç’est beau. Nos skis glissent à merveille et les petits rapides se franchissent avec tellement de facilité que nous pourrions progresser dans ces conditions pendant encore… 5 jours!

L’équipe est de bonne humeur et tout le monde a le sourire aux lèvres, si bien que le retour au PC19 nous a pris 2 fois moins de temps.

Nous optons pour un arrêt très court au PC19 (cut off oblige) et poursuivons vers le PC 20. Arrivés, nous nous dirigeons vers la tyrolienne, que nous exécutons sans trop de problème.

C’est un peu spécial quand même de se lancer dans le vide sur 70 mètres dans le noir sans voir ou tu vas atterrir (tout un thrill). Après, retour au PC20 pour l’étape vélo (30 kilomètres).

Gilles : Sur la route 130, de nuit? Avec le traffic, sans protection, tu-seuls?

J.A. : Non, pas tous seuls, nous avions une auto suiveuse (police ou pompier j’sais pu trop)

Nous enfourchons nos bécanes, il fait très froid. C’est le départ, on roule à un bon train malgré tout. Un autre ennemi nous guette cette fois ci, le sommeil! C’est incroyable! Il m’est impossible de garder l’oeil ouvert plus de 10 secondes. Je zigzague, je ne réussis pas à tenir la route. Simon aussi a de la difficulté. Aussi, nous décidons de nous parler et de chanter à tue tête pour nous garder éveillés. Ça marche, car le sommeil se dissipe avec la venu du jour. C’est maintenant au tour de Guy à cogner des piquets! Il est dangereux à voir, par moment il fonce sur les vannes. Il hallucine, comme on roule entourés de champs, il me demande « comment ça qui a du monde de même icitte » Le pauvre, on s’esclaffe, on préfère en rire, il divague, on dirait qu’il est saoul.

Enfin on arrive au PC21. C’est pas trop tôt, la petite ballade en vélo commençait à être drôlement dangereuse.

On chausse les skis, enfin, dernière étape! Nous estimons notre arrivée à midi au Mont Grand Fonds. La neige est très abrasive, la glisse est pourrie mais le soleil est radieux. On s’arrête pour consulter la carte… malheur! pas de carte! eh oui! on a oublié la carte!

Gilles : Au PC 21?

J.A. : Ouais au PC21 dans nos bagages que l’organisation s’est empressé de ramasser et de repartir avec à l’arrivée snif! snif! Comment on a pu faire une chose pareille?!? Pourtant, on en avait parlé mais dans la confusion et la fatigue nous l’avons oubliée. Pas grave, on skie à peu près… on s’informe aux motoneigistes qui nous disent n’importe quoi. Il y en a même un qui me dit qu’il reste 6.5 kilomètres… j’ai dû skier au moins 30 kilomètres après!

On commence à s’impatienter passablement. On a l’impression de tourner en rond et le temps passe effroyablement. À un moment donné, on trouve une pancarte avec écrit dessus UKATAK Youppi! C’est par ici! On grimpe,grimpe,grimpe et grimpe encore pour enfin arriver aux traîneaux à chiens. Après une petite leçon accélérée sur le métier de musher, on s’élance avec nos clébards vers le mont grand fonds (c’est la seule fois où j’ai eu froid pendant le raid)

Gilles : Combien de temps en traîneau à chien?

J.A. :30 a 35 minutes. L’ARRIVÉE EST LÀ, il est 16h00!(4 heures plus tard que prévu)

Amis (es) et journalistes sont la pour nous accueillir. Ça fait chaud au c¦ur. Après les congratulations et les embrassades, nous promettons que plus jamais nous ne répèterons l’expérience ????

Gilles : pourquoi les ??? Vous êtes pas sûrs de votre promesse?

J.A. : Ouais, si tu m’avais posé la question tout de suite à l’arrivée, c’est clair que c’était NON, mais déjà après quelques jours de repos je suis beaucoup moins sûr ???

Un autre point aussi que j’aimerais préciser,contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, il n’existe pas de trajet court et de long à Ukatak, il n’existe que le raid Ukatak et un petit plus pour ceux qui se classent pour le parcours extrême. Ce que certains ont appelé le parcours court ce ne sont rien de plus que des équipes qui ont abandonné, donc il n’ont pas fait Ukatak.

Gilles : Selon toi, ils devraient pas permettre cela?

J.A. :Je suis catégorique la dessus! Non! ils ne devraient pas permettre ça, c’est comme si au raid Pierre Harvey j’abandonnais pendant la première étape avant le lac Talbot et que l’organisation me déménageait à la forêt Montmorency pour faire la dernière étape avec un classement qui s’appellerait le R.P.H trajet court. Excuse moi, mais dans ma tête, j’ai abandonné, c’est tout.

Gilles : Ils devraient être moins sévères sur les cut-offs, pour avoir plus d’équipes dans la même course?

J.A.: les cut-offs n’existent que dans le parcours extrême et a mon avis il ne devraient pas être moins sévère car si ils l’étaient, ça changerait trop l’allure de la course, certaines équipes en profiteraient pour prolonger leur arrêt dans les pc (3 à 4 heures) ça n’aurait plus de fin.

Gilles :Ils vous ont payé votre 4000$?

J.A. : Non, pourquoi? tu doutes????,,au fait c’est 4250$ qu’il nous doivent car j’ai mis 250$ en garantie pour la radio d’urgence, j’ai retourné la radio mais le 250$ est pas revenu.

Gilles : Comment t’as trouvé l’organisation? Ont-ils un avenir?

J.A. : Disons que nous l’organisation on en a pas eu affaire beaucoup, on a fait notre course peinard en autonomie complète, d’ailleurs il l’ont souligné à la remise des prix. Par contre, je sais que les équipes qui ont été dans le besoin étaient plus ou moins satisfaits du support qu’ils ont eu. Il faut comprendre que c’est très compliqué à organiser une chose comme ça, tu couvres beaucoup de territoire et tu as beaucoup de gens au terrain, pas facile du tout. Tant qu’à l’avenir du raid je ne suis pas inquiet, on a qu’à regarder cette année il y avait 18 équipes au départ dont 9 du Québec c’est signe qu’il y a engouement pour ce genre d’épreuve. Je connais plein de Québécois qui réussiraient bien la dedans.


C’est Denise qui a l’air la plus fraîche, à l’arrivée.
L’équipe avant le départ. À noter qu’on ne voit pas les pieds de Jean-Arthur, qui se soulève de terre pour ne pas paraître plus petit que sa blonde.
L’équipe à l’arrivée au Chalet du Mont-Édouard. La carte et les photos sont une courtoisie (lire piratées sur) du site www.ukatak.com