Je n’irai plus à la shoppe

David Desjardins, Rédacteur en chef du Journal Voir et ex-vendeur à l’ex-Boutique Mont-Vélo, nous a pondu un autre excellent papier . Amusez-vous.


C’était le soir du party de descente de la Coupe du Monde. Assis dans sa bagnole qu’il avait tout juste garée aux côtés des luxueuses vans des équipes de compète, Stank me tendait le dernier Vélo-Mag en me disant : «Check Doâve, Gilles parle de nous autres ».

Certains anciens de chez Mont-Vélo se sont évidemment reconnus dans la description d’une shoppe qu’y faisait le drôle de Morneau: Carmen, la vendeuse dégoûtée par l’état des sanitaires; Stank, le mécano peu loquace, et moi, le vendeur devenu, par un étrange concours de circonstances, le rédacteur en chef d’un journal culturel.

Grisé par une longue journée de cross country et les nombreux Moskovskaia-Tonic que je m’étais administrés par la suite, je lisais le texte en riant, me souvenant que, bien que nous ne fûmes pas parfaits, il régnait dans cette boutique un esprit que je ne retrouve que trop rarement ailleurs. Un esprit de guignols farceurs, d’une équipe soudée qui ne vit que pour le bike, mais aussi un esprit de confiance.

C’est ça, la nostalgie: vous idéalisez les situations les plus banales pour les transformer en expériences transcendantes.

N’empêche, redevenu simple client, je suis parfois flabbergasté devant l’incompétence, le manque de courtoisie ou la malhonnêteté de certains marchands de vélo.

D’autant que j’ai longtemps travaillé dans le service à la clientèle, donc je connais. Avant de jouer les grattes-papier, j’ai vendu des chaussures, des plantes et des arbres, des souvenirs dans le Vieux-Québec, des fringues sur la rue St-Laurent à Montréal, de la boisson dans les bars, de la bouffe dans des restos, j’ai organisé des partys pour les événements sportifs de Gestev, fait mille et un boulots de merde, et contrairement à la croyance populaire, je n’ai jamais vendu de dope.

Mais au delà du job, du service, vendre des vélos était pour moi un pur plaisir. J’adorais conseiller les gens dans leurs achats, les aiguiller vers tel ou tel genre de bicyclette, peu importe leurs intentions ou leur budget. J’aimais tellement l’objet, en faisait une telle obsession, que j’avais l’impression de vendre du rêve.

Donc, dans un certain sens, j’étais un peu pusher quand même.

Et si je n’étais pas toujours obligeant, forçant certains à se colleter à mon monopole du bon goût, je n’arnaquais jamais qui que ce soit.

Aussi, quand un de mes amis m’a raconté l’autre jour qu’on avait changé ses plateaux, puis sa chaîne et sa cassette pour enfin «découvrir» que c’est son dérailleur qui lui posait problème, je suis devenu vert de rage.

Il y a encore ­et il y aura toujours- des propriétaires de shoppe qui abusent de l’ignorance de leurs plus fidèles clients. Des crosseurs ou des incompétents qui, parce qu’ils disposent d’une certaine notoriété ou encore d’une clientèle qui a du fric et qu’ils connaissent par leur petit nom, se permettent de les endormir et de leur passer n’importe quoi.

Ça, c’est un scandale. Pur et simple.

Mais il existe tout plein d’autres irrégularités -plus bénignes- dans les shoppes que je fréquente désormais comme client. Des mauvaises habitudes que le temps a transformé en défaut institutionnalisé.

Comme cette pratique trop répandue de faire des travaux sur un vélo sans votre consentement. Un manque de courtoisie et une infraction à la loi sur la protection du consommateur. Remarquez, je ne suis pas contre qu’on m’indique qu’il y a tel ou tel problème à régler. Mais il semble que le téléphone fasse partie de ces obscures technologies que trop de mécanos ignorent.

À moins d’être féru de mécanique, de dévorer tous les magazines et d’écumer les sites Internet consacrés au vélo, vous placez le plus souvent votre confiance en ces personnes qui vous conseillent. Des gens sur lesquels on ne peut pas toujours se fier, malheureusement.

Devant l’explosion technologique du vélo, j’ai même parfois l’impression d’être pris en otage par les shoppes.

Pas étonnant, donc, qu’on veuille plogger telle ou telle boutique sur le forum de discussion que vous trouvez ici. Quand on découvre un endroit qui offre du service remarquable, on souhaite qu’il prospère et aussi en faire profiter les autres.

Dans mon cas, il n’y en a que deux qui ont trouvé grâce à mes yeux et où j’irai pour acheter pièces, vêtements et équipement. Quant au service, j’ai choisi des mécanos que je connais personnellement et ferai directement affaire avec eux.

J’en ai marre des conneries. Marre de me faire raconter n’importe quoi. Je reprends le contrôle sur ma vie de cycliste et met fin à ce terrible syndrome de Stockholm que nous développons trop souvent dans les boutiques de vélos.

C’est radical, même peut-être un peu con, je sais, mais si je peux me le permettre, je n’irai plus à la shoppe.

DAVID DESJARDINS