Michel LeBlanc au marathon canadien de ski de fond

À la demande générale, Michel doit résumer chaque année son marathon canadien. Michel est un habitué de ce fameux raid de ski de fond, où on couche à la dure. Patageons ensemble le récit de la dernière édition, qui avait lieu la fin de semane dernière. J’ai corrigé les fautes pour vous. De rien, Mike.


Le marathon canadien de ski de fond 2005

Appellations pour mieux comprendre

  • Coureur des bois bronze = 160 km, 10 étapes
  • Coureur des bois argent = 160 km, 10 étapes, charge de 5 kg
  • Coureur des bois or = 160 km, 10 étapes, autonomie complète et coucher à la belle étoile
  • Barre d’or = après la 1ère médaille d’or réussie, chaque édition supplémentaire se nomme «barre d’or»

Ce qui est intéressant avec cette épreuve, c’est que ce n’est pas une compétition. Il n’y a pas de chrono, pas de feuilles de résultats. C’est une épreuve unique en son genre. On peut faire 1, 2 ou 10 étapes en 2 jours si l’on veut. La seule contrainte pour les coureurs des bois, est de commencer la dernière étape avant 15h30, sinon on ne peut continuer.

Description du week-end

Le week-end du 12-13 février dernier, je me rendais à mon pélerinage annuel dans le nord de Montréal pour participer à la 39ème édition du marathon canadien de ski de fond, d’une distance de 160 km reliant Lachute à Buckingham. Cette épreuve est la plus longue au monde en ski de fond sur 2 jours.

J’en étais à ma 13ème participation consécutive, dont 11 comme coureur des bois or (soit 10è barre d’or). Nous étions un groupe de 14 personnes : Jean-Louis Derago (20ème barre d’or), Gérard Cyr (13ème barre d’or), mon père Hervé (11ème barre d’or), Denis Roy (7ème barre d’or), Roger Lessard (4ème barre d’or), Bernard Caron (1ère barre d’or) ainsi que 7 nouveaux, soit : ma blonde Isabelle, Alain Henry, Réal Robichaud, Jeannette Champagne, François Amyot et François-Guy Thivierge qui s’essayaient tous pour leur 1ère médaille de bronze ainsi que Sylvain Ouellet pour sa 1ère médaille d’or.

Samedi 12 février. 81 km en 8h. 1600 mètres de dénivelé

Réveil à l’hôtel à 3h45 am. Il fait ­6°C. On annonce un ciel ensoleillé et quelques nuages avec un maximum de ­3°C. Les pistes sont croûtées. Le klister recouvert d’un fart dur préparé la veille dans la chambre d’hôtel est le «mix» du jour. Nous nous rendons sur le plateau de départ pour 5h15, on ajuste le fartage, prend des photos et salue nos amis coureurs des bois. Le départ des coureurs des bois or se fait à 5h40, argent à 5h50 et les bronzes à 6h. À ma grande surprise, le ministre des affaires municipales, du sport et des loisirs, Monsieur Jean-Marc Fournier, est venu donner le départ officiel. 3,2,1 go ! Les premiers kilomètres avec des pistes dures et glacées témoignent du manque de neige. Les conditions sont rapides mais le fartage ne résiste pas très bien. Nous arrivons au premier ravitaillement devant quelques skieurs qui se sont trompés de chemin dans la noirceur. Un petit coup de fartage et on repart.

Lors de cette 2ème étape, je skie avec mes 2 collègues de toujours, soit Chris Blanchard, un olympien en ski de fond et Michel Blier, une force de la nature pour qui le marathon canadien de ski est fait sur mesure. On a certainement fait plus de 5 kilomètres en pas de patin dans les sections où il n’y avait pas de traces. Le fartage en prend encore un coup.

3ème étape, il faut maintenant ajuster le fartage pour l’étape la plus difficile du marathon avec d’importants dénivelés positifs et des descentes très abruptes. Je décide d’y aller à mon rythme et de laisser aller devant mes collègues. J’ai dû m’arrêter une fois pour refarter mais je réussis quand même à garder le rythme. La 4ème étape est la plus longue du marathon avec ses 19 kilomètres. J’ai coincé quelque peu. J’ai arrêté deux fois pour rajouter du fart. Je n’ai pas fait le bon choix de la marque de fart. Il n’est pas très résistant. J’ai skié un peu plus qu’à la normale avec les bras et j’en ai payé le prix. J’ai fait énormément de pas de patin. Je me suis refait une petite santé au dernier ravitaillement en sirotant une bonne petite soupe et fartant à nouveau. Cette 5ème étape nous mène au camp or. Elle était longue de 17 kilomètres, soit 5 de plus qu’à l’habitude. J’y vais seul à mon rythme. J’ai développé une tendinite au poignet gauche qui m’inquiète un peu pour le lendemain. Je modifie ma technique pour limiter les dommages. J’arrive au camp vers 13h40. Je suis quand même satisfait de ma première journée.

Le campement

270 coureurs des bois or sont attendus au campement qui fait 300 mètres par 15 à 25 mètres. L’organisation fournit le bois, l’eau chaude, la «balle» de foin qui sert de «Lay-Z-Boy» et du foin comme matelas pour dormir. Je ne traîne qu’un petit matelas de sol bleu et un sac de couchage 3 saisons. Pas de tente, ni bivouac. À la belle étoile. La raison: le poids ! Chaque livre en moins sur nos épaules fait une énorme différence. Je suis parti le samedi matin avec 16 livres. Je terminerai le dimanche pm avec 14 livres (nourriture en moins).

Durant tout l’après midi, les coureurs des bois arriveront jusqu’à 18h en pleine noirceur. Pendant ce temps, je fais sécher mon linge, mange et socialise avec mes amis. Mon père est le premier de notre groupe à arriver après moi avec 1h15 de retard sur moi. Il arrive environ le 30ème à 66 ans. Quelle performance ! J’en suis estomaqué. Tous rejoindront le campement sauf deux, Bernard Caron et Gerry Fasset. Nous n’avons jamais eu de nouvelle de Bernard. Quand à Gerry, un vétéran du marathon avec ses 11 barres d’or, il a chuté violemment lors de la 3ème étape et s’est brisé des côtes. Quel dommage. Sa présence autour du feu est toujours très appréciée. C’est le «Gilles Latulippe» du groupe avec ses histoires.

Je prépare deux emplacements pour les feux, le seul groupe de la sorte car nous serons 13 à les partager. Nous nous racontons notre journée, prenons une marche de santé, mangeons, préparons notre lit et fartons nos skis pour lendemain. Il est tombé 2-3 centimètres de neige fraîche vers 18h. Juste assez pour nous tremper quelque peu et améliorer les conditions pour demain. On annonce ­12°C pour la nuit et ­5°C pour demain avec un ciel dégagé. Une belle journée en perspective. Autre surprise de taille. Le ministre Fournier vient faire son tour au campement. Je me suis entretenu avec lui quelque peu. Il ne connaissait pas l’événement et est extrêmement surpris de voir autant de personnes heureuses autour d’un feu après avoir complété 81 kilomètres et s’apprêtant à en faire 74 le lendemain. Il a été en mesure de constater que ce sont plus de 2200 skieurs de 8 à 88 ans qui prennent part à 1 ou plusieurs étapes du marathon.

C’est maintenant l’heure du dodo. Les couche-tôt vont au lit vers 18h30. Je suis toujours un de ceux qui me couche le plus tard, soit vers 20h30. J’ai su que ma blonde Isabelle a complété sa journée. Way to go Isa !

Dimanche février. 74 km, 800 mètres de dénivelé.

Réveil 4h. Déjeuner 4h20. Départ 6h. Ça prend toujours une petite dose de courage pour se sortir de son sac et partir sa journée. Ce matin, je suis décidé ! Décidé à faire différent. Décidé à délaisser le devant du peloton pour réaliser une idée qui me trottait dans la tête depuis quelques jours. Celle de skier toute la journée avec mon père. Il ne le sait pas. Il ne l’a appris que sur la ligne de départ. Lorsque je lui ai dit que je skierais avec lui toute la journée, il a dit non. «Tu vas me mettre trop de pression» dit-il ! J’ai répliqué que je ferais une étape ensemble et qu’on verrait par la suite. Vous devinez le reste. J’ai fait toute la journée avec lui. Et quelle journée. Pas un nuage, -5°C, une superbe de glisse et en excellente compagnie avec mon père.

Ça m’a permis de voir le marathon d’un autre oeil. Dans les ravitaillements, c’est plein de monde. Je vois des skieurs dont je n’ai jamais la chance de jaser avec. J’en profite pour prendre plusieurs photos. Je farte les skis de mon père pendant qu’il va au petit coin. Lors de la 2ème étape, nous nous arrêtons à un ravitaillement clandestin organisé par une famille. La dame nous sert des biscuits faits maisons. C’est un de ces petits moments magiques qui caractérise le marathon. Ma tendinite réapparaît. Je dois modifier considérément ma technique pour éviter de l’empirer. Lors de la 3ème étape, deux de nos amis médailles de bronze partis de Montebello le matin, Alain Henry et Réal Robichaud, nous rattrapent. Ils sont fous de joie et nous annoncent qu’il seront de la partie l’an prochain.

Lors de la 5ème étape, nous rattrapons deux de mes amis, François Amyot et François-Guy Thivierge. Je crois qu’ils ont très hâte d’arriver à destination. Je leur offre des gels et des «carrés de rêves» (sorte de carré aux dattes). En moins de deux, il ne reste plus rien. Nous terminons tous ensemble la journée, une journée de rêve.

À 66 ans, mon père a réalisé sa 11ème barre d’or à une vitesse que plusieurs skieurs plus jeunes envient.

Je ne vois pas le jour ou il arrêtera. Il en a impressionné plus d’un. Il m’inspire au plus haut point. Si je peux faire la moitié de ce qu’il accomplit à son âge, j’en serais bien content.

Une autre qui m’a impressionné, c’est ma blonde Isabelle. Elle a complété sa première médaille de bronze en 22 heures, soit 11h30 le samedi et 10h30 le dimanche. Je savais qu’elle était capable de réussir. Elle est à une étape près de réussir le tour du chapeau, soit compléter dans la même année un marathon de course à pied (elle a fait Baltimore en octobre dernier), le marathon canadien de ski (c’est fait) et le Rideau tour Lake, soit Ottawa-Kingston aller-retour à vélo en 2 jours au début de juin (320km en 2 jrs). Ayoye !

Tout le reste du groupe a réussi, sauf Jeannette qui a complété 8 étapes sur 10, ce qui est très honorable compte tenu des conditions glacées du samedi. Nous nous réunissons au banquet autour d’une bonne bière en nous racontant notre expérience et parlant déjà de l’édition 2006. C’est un peu ça le marathon et bien plus. C’est avant tout un happening où des gens partageant des valeurs de santé, de plaisir et de détermination se rencontrent pour relever un défi. Merci aux organisateurs qui nous font «tripper» à chaque année. Longue vie au marathon canadien de ski de fond! On se voit au 40ème l’an prochain.

Michel LeBlanc

P.S.: S’il y en a qui sont intéressés par le marathon, n’hésitez pas à consulter le site du marathon canadien de ski de fond