Le vélo dans la cave, par Pierre Gendron

Voici un petit texte dont Pierre a le secret, écrit dans un moment de grave désoeuvrement, dimanche dernier, alors que la pluie incessante foutait le cafard à toute la communauté pédalante.


Faudrait bien que je rentre mon vélo dans la cave

Dimanche, c’est la fin de semaine et il pleut, de cette petite pluie froide régulière qui te mouille les souliers lentement, s’infiltre au travers le linge en commençant par les épaules. Et je ne parle pas ici des doigts qui dans leurs cachots mouillés respectifs gèlent lentement et refusent en cours de route d’aller toucher à une manette de changement de vitesse ou, en fin de course, malgré leur bonne volonté, ne sont pas capables d’activer le fermoir du casque.

Je me dis que je vais en profiter pour faire l’inspection-avec-une-guénille de mon vélo resté bien attaché sur mon perron depuis ma sortie d’hier où grâce à cette température ambiguë, mon «top tube» recevait indistinctement des gouttes de sueur et des gouttes de nez gelé.

Je décide donc de descendre mon vélo dans la cave où sont mon pied de travail Park et mes outils.

Avez-vous remarqué qu’un vélo, ça se transporte mal, ça accroche tout sur son passage.

Pour bien situer l’opération il faut que je vous dise que pour descendre mon vélo dans la cave je dois faire un steeple-chase olympique.

Comme les pneus du vélo ne sont pas propres, il faut le prendre et le soulever pour traverser la cuisine. La géographie de celle-ci me force à le prendre que du côté de la chaîne donc première manifestation de révolte du vélo : je me fais un tatoo de cadet sur mes jeans.

Je passe devant le frigo et le guidon accroche la liste d’épicerie que l’aimant, à la limite de ses forces (par la longueur de la liste), ne peut retenir. En tombant la liste accroche l’autre aimant qui cesse alors, par solidarité, de retenir la liasse de rabais Mc Do, Burger King, Métro et Racine. Tout se retrouve pas terre.

Puis, en évitant soigneusement le bol de nourriture du chat et son plat d’eau, je dois tourner le coin de la cuisine à 90 degrés pour ouvrir la porte qui mène à l’escalier vers le sous-sol.

En face de cette porte, sur le mur, il y a les crochets où les différents vêtements d’hiver et de printemps sont accrochés. Le frein de la poignée gauche décide de se vêtir de la manche droite de ma veste rouge et l’amène avec lui. Je défais tout de suite cette amitié naissante et, ce faisant, mon pneu avant glisse sur la peinture du mur et y laisse un embryon de trace de brake.

Puis l’escalier de la cave comme un puits de mine m’offre de descendre.

Il faut comprendre que chez moi un escalier de cave (ou tout autre escalier) n’a pas la seule fonction de vous permettre de passer d’un étage à l’autre. Chez nous un escalier est aussi une sorte de zone transitoire, un espace de rangement temporaire pour bottes sales, boîtes de conserve achetées «en spécial», outils, etc . Ceux-ci sont assis sagement sur chaque marche en attendant de rejoindre les leurs qui sont déjà rendus à la bonne place dans la cave .Cela réduit un peu la surface de circulation surtout avec un vélo dans les mains.

Il ne faut pas oublier aussi que des vêtements pas propres (ceux qu’on met pour peinturer ou planter des fleurs ou changer les pneus) sont accrochés sur les murs de la descente de cave. Mais ils sont plutôt inoffensifs par rapport au gros sac plein de sacs d’épicerie vides, au balai marsupial avec son porte poussière accroché à son manche et à la vadrouille-éponge et essoreur intégré protubérant.

Le vélo alors se plaît, comme un bon politicien en campagne électorale, à tous les effleurer et à vouloir les amener avec lui et, comme dans la vraie vie politique, 50% plus 1 des objets touchés le suivent dans sa descente. Et ces objets dans leur chute ne me préviennent pas s’ils passent à droite ou à gauche comme on le fait en course.

Chez moi la pente des escaliers est assez raide et comme je me dois de mettre le vélo sur les marches (pour que le guidon ne touche pas vers le bas de l’escalier au plafond de la descente de cave), il est nécessaire d’actionner le frein pour limiter la vitesse de descente .C’est ainsi que la roue arrière se met à glisser et sauter marche par marche et le vélo de descendre de plus en plus vite . Heureusement qu’en bas de l’escalier il y a le mur et un tas d’accueillants panneaux de bois (qui attendent depuis longtemps la mise en chantier d’un éventuel projet de bricolage) pour amortir la chute de plus en plus libre du vélo, d’une paire de souliers boueux, du balai et son porte poussière et du gros sac de sacs vides qui clôt la parade.

Ouf!

Le vélo trône enfin sur son pied de travail bleu, il attend l’inspection; une tite bière ou un café sur l’établi, de la musique à la radio vont me faire oublier l’équipée.

Plus tard le processus inverse va se répéter avec là aussi une fin heureuse : je vais pouvoir aller rouler avec mes amis sous un ciel plus clément, sur un beau vélo propre et bien mis au point.