Plaisir solitaire à St-Émile, par Pierre Gendron

Jean O’neil expliquait dans le dernier Géo Plein Air que c’est tout seul qu’on savoure le mieux la nature. Pierre Gendron est aussi de cet avis et il se procure à l’occasion de petits plaisirs solitaires. Il nous raconte son dernier orgasme, vécu à St-Émile en ce beau jeudi de l’été des indiens, la semaine passée.


Jeudi dernier, le soleil étire ses rayons, le thermomètre est tout rouge de gêne d’afficher 15 degrés quand son ami le calendrier lui annonce qu’il est à son avant dernière page.

J’ai vraiment le goût d’aller rouler seul dans le silence brisé seulement par le son de ma chaîne qui change de plateaux, pas d’aller rouler à «tombeau ouvert» comme sur les photos de magazines. J’ai seulement envie de siroter le sport comme une liqueur fine. St-Émile me vient à l’esprit; ce n’est pas une grande surface dont j’ai besoin mais d’un bistro.

St-Émile se savoure seul. Quand on veut goûter à quelque chose, il ne faut endurer aucune distraction. Y aller en groupe devient une activité sociale, un challenge, une course même. St-Émile devient à ce moment là une arène, un lieu de rencontre, pas un autel.

Je ne connais pas le nom des pistes et n’en possède pas la carte. Le plaisir et sa recherche devaient me guider et ma montre me ramener; et le site de l’Association me donne le feu vert.

Bien habillé, mais pas trop, j’entre dans la forêt côté rue de la Faune. Mon état de béatitude crève aussitôt lorsque dans les ornières à l’entrée ma roue avant glisse. On a beau être aux oiseaux, il ne faut pas en avoir la cervelle.

Je prends la première à gauche. J’engage mes rapports de confort et entame le ballet des zigzags ponctués de passages serrés entre gros cailloux dérailleurvores qu’il faut enfiler avec une précision chirurgicale. Ces méandres paresseux dans lesquels le plaisir vient du rythme qu’ils impriment à la randonnée sont aussi, en plus des passages rocheux, remplis de racines s’étalant tout azimut tel un noeud de vipères. Le ballet classique de la conduite passe en mode LaLa human Step. Il faut délester la roue avant, donner le coup de pédale approprié et se retrouver de l’autre côté du filet de racines. Plus loin les virages en épingle sont rendus plus intéressants quand on se concentre sur l’équilibre au lieu d’y entrer en jouant du blocage érosif de la roue arrière et du dérapage qui s’en suit. Le plaisir exquis est de faire le tout lentement en dosant force et équilibre. Dans mon cas ça ne marche pas toujours et à ma courte honte je mets pied à terre quelques fois. J’en profite pour boire une gorgée.

Outre le plaisir de conduire, il y a le plaisir de l’oeil. À St-Émile il ne faut pas chercher des paysages à la Moab ou Raid Transgaspésien mouture 2008; mais ici c’est plus fin. Dans cette section où je suis, je roule sur une plage dorée et ensoleillée d’aiguilles de pin ou sapin. Plus loin des feuilles de toutes les teintes de brun s’amusent à capter les rayons de soleil. C’est leur chant du cygne avant la couette blanche et l’humus.

Le nez est de la fête en captant ces odeurs de terre humide qui commence déjà à composter. Ces relents terrestres me retournent aux premières années de ma vie quand j’allais chercher les patates dans le caveau, sous la maison de mes grands-parents. C’est mes «petites madeleines» à moi.

Plus loin dans le parcours, des montées abruptes, parsemées d’embûches, me lancent des équations à multiples inconnues de délicat pilotage, de force de pédalage et de transfert de poids à résoudre. La clé de la solution est souvent de pouvoir mettre au moins une roue sur les rochers plus abrasifs.

Le vélo de montagne est un sport violent, qui se déroule dans un milieu souvent hostile si on n’épouse pas ses lois (la nature c’est de l’espace qui est là parce qu’elle y a mis le temps, ne pas y mettre le temps demande de bouleverser son espace) et qui demande à son praticien : habileté, force, courage et un brin de folie. Mais aller à St-Émile et y rouler relève plus du contemplatif actif car ses concepteurs dans leur sagesse ont aménagé cet espace de manière à y mettre du temps.

Une bien belle heure et demie.

Pierre Gendron


Pierre n’est pas le seul à apprécier les beautés de la lumière automnale. À preuve,
ce touriste de la Saskatchewan a été surpris en train de caler quelques putts sur le
terrain de golf de la minigolf.