J’ai-tu une pognée dans le dos?

On apprend cette semaine que Ryder Hesjedal est un tricheur. ÉTAIT un tricheur, car, selon ses dires, il s’est dopé un certain temps, il y a plus de huit ans. Mais il a cessé depuis. Il aurait même gagné le Giro l’an dernier à l’eau claire. Ben oui, Ryder. Aye, Rider, j’ai-tu une pognée dans le dos? Raconte-nous donc en détail ton cheminement. En 2003, donc, tu te dopais et ta carrière allait bien en vélo de montagne. En 2004, tu signes avec US Postal, l’équipe de Lance. Est-ce Lance qui t’a dit en te recrutant que pour faire l’équipe, il fallait être clean? Ce serait surprenant qu’il t’ait dit ça, vu qu’il a dit exactement le contraire à ses autres camarades.

Donc, tu fais la transition au vélo de route, un milieu où le dopage est endémique, supporté par les grosses équipes dont tu fais partie, et soudainement, tu décides que la dope ce n’est plus pour toi. « Non merci, Doc, je préfère rester clean ». Et grâce à un plan d’entraînement sur la coche et des heures de dur labeur, tu arrives à gagner le Giro en 2012. Merveilleux, quelle belle histoire.

À chaque fois qu’un nouveau coureur se fait dénoncer ou pogner dans un test nous sort sa cassette d’excuses et d’aveux partiels suivis de l’assurance qu’il court dorénavant à l’eau claire, je sors des boules à mites ce texte intitulé « J’ai-tu une pognée dans le dos? », je resasse tout ça, pis le coeur me lève, et dégoûté, je retourne le tout dans le dossier « brouillons ».

Ceux qui ont le droit d’être encore plus indignés la dedans, c’est les coureurs qui se sont fait voler. Voler les places aux championnats du monde, aux jeux olympiques, ou simplement le « carding », le brevet de Sports Canada, cette subvention annuelle qui permet de subsister et de payer une partie des dépenses liées à la course. Carding empoché au Canada année après année par des athlètes professionnels évoluant au sein de grosses équipes mondiales, qui gagnent de gros salaires, pendant que ceux qui sont en dessous d’eux, faute d’argent, ne peuvent pas performer à la hauteur de leur potentiel.

« J’ai-tu une pognée dans le dos », ça s’adresse aux tricheurs qui nous déversent leurs larmoyantes demi-vérités, mais ça s’adresse aussi à ceux qui font semblant que tout est devenu clean, qu’il y a moins de dopage qu’auparavant, qu’ils soient coureurs, journalistes, officiels à l’UCI, à l’ACC, au CCES, à Sport Canada. Ryder a avoué l’an dernier à l’USADA qu’il était dopé et la nouvelle a sûrement circulé dans les officines de nos nobles institutions, où on a jugé qu’il fallait étouffer l’affaire, afin de ne pas ternir la réputation de notre grande vedette canadienne, le champion du Tour d’Italie, le modèle pour notre belle jeunesse, celui qui fait vendre le cyclisme, les vélos, les cyclomètres Garmin. On n’est pas loin de Lance qui se fait couvrir par l’UCI. La grosse machine à faire des sous doit tourner.

Ryder a fait ces confessions à l’USADA pour la simple et bonne raison qu’il a été acculé au pied du mur, trahi par les révélations d’autres coureurs. Il n’a pas eu le courage d’avouer publiquement parce qu’il croyait pouvoir s’en sauver. Si ce n’était pas des révélations de Rasmussen, il l’aurait emporté au paradis.

Combien d’histoires comme ça on nous cache en haut lieu? Roland Green avait-il plus à se reprocher que ses médicaments pour l’asthme qui lui ont valu 6 mois de suspension en 2004? Combien d’autres beaux modèles pour notre jeunesse devons-nous ainsi protéger? On le saura jamais avec les règles actuelles.

Si tout ce monde voulait vraiment se prendre en main, il n’y aurait qu’un pas à faire, un pas réalisable sans aucun délai: rédiger des contrats plus sévères, ne pardonnant pas le dopage et exigeant le remboursement des sommes gagnées. Autant pour les équipes pro que pour les instances nationales.

Sport Canada devrait donner l’exemple en changeant ses règles pour faire en sorte que les Mike Barry, les Ryder Hesjedal et la racaille du genre ne soient plus éligibles aux brevets et qu’ils remboursent les sommes gagnées, au moins celles pour lesquelles ils ont avoué s’être dopé (été obligés d’avouer, devrait-on dire). Ces sommes devraient être rétroactivement cédées aux coureurs qui furent lésés à l’époque en-dessous nos champions, ou, si c’est trop compliqué à appliquer (faut pas trop en demander à nos fonctionnaires!), qu’on fasse suivre l’argent aux jeunes athlètes qui sont actuellement mal financés ou sur le bord d’être mal financés.

Et pis quelqu’un peut-il m’expliquer le pourquoi de cette « règle d’exception » du CCES, qui fait que quand on a triché il y a huit ans ou plus, on est pardonné automatiquement? Les règlements et l’éthique du sport, c’est-tu comme le yogourt, y’a une date de péremption? Tu triches maintenant, tu es suspendu. Tu trichais il y a 8 ans? Non seulement t’es pas suspendu, mais en plus, on garde ça secret! Il ne faudrait surtout pas nuire à ta réputation. Belle mentalité, je te jure.

À suivre cette semaine, la correspondance échangée avec Sport Canada et le CCES des dernières années. C’est pissant.