18 mai 2006: La randonnée du silence 2006 à Québec, par Denis B. 18h00, mercredi le 17 mai 2006. Il vente très fort, les arbres font la vague derrière la maison. Par la fenêtre, je vois qu’il tombe une pluie fine dans la piscine. Hum ! Hum! Pas vraiment un temps pour aller rouler dehors, que je me dis, encore moins dans une randonnée à vitesse limitée à 15 km/heure car je ne pourrai pas me réchauffer. Deux minutes plus tard, j’suis pourtant en train de tout préparer, surtout plein de vêtements, l’imper-vélo et les couvres-chaussures. Après tout, ceux pour qui on dédie les randonnées du silence ont vécu bien pire, me dis-je pour me raisonner rapidement. Et en plus, il faut manifester paisiblement notre droit, et non notre privilège, à occuper aussi une portion de la route et ce, sécuritairement. Michaël qui me disait il y a deux minutes qu’il ne viendrait pas car il devait faire ses devoirs me lance finalement de sa chambre qu’il va venir. Il a décidé ça tout seul sans que je l’incite le moins du monde. Il ne me l’a pas dit mais a glissé rapidement à sa mère qu’un accident comme Vincent Tremblay a eu, pourrait aussi lui arriver ainsi qu’à son père et il faut donc faire une activité pour faire valoir les droits des cyclistes. Je sais très bien que cet accident l’a marqué ; il insiste pour que je l’accompagne à chaque fois qu’on se rend aux entraînements du club et ce, même si c’est souvent assez près de notre maison. Bravo pour ta décision de participer à cette randonnée, cher fiston de 13 ans, toi qui est souvent difficile à faire sortir de tes devoirs (oui, oui c’est vrai !) et qui est en plus, bien plus prudent à vélo que ton père au même âge ! On met les vélos sur le toit de l’auto, direction Laurentienne sud. Le vent de côté soufflant vers l’ouest est très fort. On arrive ensuite à l’IRDPQ : il y a quelques cyclistes dans le stationnement. J’en reconnais rapidement quelques-uns des clubs Lessard Bicycles, Sport-en-Tête et Sentinelles de la Route. Il fait froid. Près de l’édifice de l’IRDPQ, en s’avançant lentement, un organisateur vient à notre rencontre et nous installe un brassard noir sur le bras gauche. Symbole mortuaire mais symbolique nécessaire. Déjà, on se sent dans l’ambiance, dans le caractère solennel de l’évènement. Petit discours des organisateurs qui nous souhaitent la bienvenue, nous remercient de notre présence et qui expliquent l’encadrement par la police et les membres des Sentinelles de la Route. On nous présente ensuite Mark Breton, cycliste émérite qui fait de la compétition en vélo de route et ce, sans avoir de bras droit. On nous dit qu’il roule en moyenne 39-40 km/h sur le plat. Wow! On présente ensuite Vincent Tremblay, le président d’honneur de cette randonnée. Il nous fait un court discours spontané et plein d’énergie ! Bon, enfin, je me sens sans doute dans une bonne journée comme on dit en vélo et je crois que je vais enfin être capable de l’approcher et d’aller lui faire mes salutations sans pleurer. 20 secondes plus tard après la fin de son mot de bienvenue, je passe lentement tout près de lui comme les autres et je constate que j’ai réussi le test. On démarre. On est combien? Je ne sais pas trop, je ne suis pas expert en évaluation de foule. Je dirais environ 200 peut-être, au risque de me tromper. Des vélos de toutes sortes et plus de montagniers que je ne l’aurais cru. Sans doute le résultat de la publicité sur le site de l’association de vélo de montagne Québec Chaudière-Appalaches. Avec ce temps, j’estime que c’est assez bien comme participation même si je crois qu’on aurait été 500 personnes avec du beau temps. Je vois rouler Mark Breton sur son bolide Garneau haut de gamme, constamment sur ma gauche : musculature impressionnante. J’essaie de voir comment le vélo est adapté pour un cycliste avec un seul bras mais je ne réussis pas à tout voir précisément. Je le regarde mouliner et lancer quelques accélérations ; je suis maintenant convaincu qu’il peut rouler vite. Quelques minutes plus tard, c’est Jean Furois, sur son Giant qui passe sur ma gauche. Bon coup de pédale aussi malgré la prothèse qui a remplacé sa jambe droite, perdue suite à un grave accident de vélo dans lequel il a aussi failli laisser sa peau. Lui aussi, il est «crinqué» et déborde d’énergie : il laisse aller à l’occasion, surtout au début, quelques encouragements à tous. Un autre exemple de courage ! Il fait encore froid avec ce foutu vent. Les gens respectent la consigne du silence, on roule dans une double file approximative mais dans un bon ordre et à une vitesse très basse et pas mal constante. L’encadrement des motards et des voitures de police est impressionnant. Ça trouble un peu le silence mais c’est sans doute nécessaire si on veut éviter de peupler davantage la section des personnes décédées sur le site web de l’organisation Ride of Silence. En ajoutant, l’encadrement des Sentinelles de la Route, qui sont les seuls à rouler sur la 3e voie, tout à gauche, c’est tellement sécuritaire qu’il serait presque impossible de faire un accident même volontaire avec une voiture roulant en sens inverse. On roule Lamontagne, ensuite quartier industriel. On fait ensuite un arrêt commémoratif là où un cycliste dont j’ai oublié le nom a perdu la vie, frappé par un camion. C’est malheureux mais ces victimes à vélo font souvent moins la manchette dans les nouvelles que celles comme le chat d’hier du Lac St-Charles qui a reçu une flèche d’arbalète et qui s’est mérité un reportage de plus de 2 minutes ! Gerbe de fleurs déposée à cet endroit, petite marche des cyclistes qui ont déposé leur vélo un peu plus loin et présence de Vincent Tremblay rendent le tout assez émouvant. Coïncidence, un gros camion-remorque est immobilisé en travers de l’intersection exactement à l’endroit de l’accident, attendant d’entrer dans cette entrée de cours industrielle. Le temps d’un instant, je me laisse aller à l’idée que c’est quasiment une reconstitution même si je ne sais carrément rien de cet accident. L’organisateur de la randonnée m’interpelle et me demande: «C’est quoi votre club ?» - « Lessard Bicycles » que je réponds avec tout près de moi environ la vingtaine de compatriotes du club portant fièrement nos couleurs. «Bravo pour votre participation impressionnante», qu’il me répond. Une fierté m’envahit, surtout pour ces montagniers qui prennent le temps de manifester paisiblement leurs droits de rouler sécuritairement sur le bitume. Après tout, en vélo, on est tous dans la même grande famille peu importe le type de roue ! Il fait de plus en plus froid et le vent ne faiblit pas. On repart et on roule dans les rues résidentielles ; peu de marcheurs dans les rues et sur les balcons vu ce temps de canard mais ceux qui sont dehors nous regardent avec interrogation. Les plus visuels se demandant sans doute la signification de ce brassard noir. Fallait rester silencieux mais j’aurais eu envie de distribuer aux automobilistes immobilisés aux intersections en attendant que l’on passe des tracts « Ride of Silence » avec évidemment l’URL de l’organisation dessus. On roule encore un peu et on revient ensuite direction IRDPQ. On a le vent dans le dos ou légèrement de côté. C’est encore plus froid ainsi. Je mouline le plus vite que je peux à cette faible vitesse mais ça ne me réchauffe pas plus. On arrive à notre point de départ, l’IRPDQ. On reçoit les remerciements des organisateurs et on rembarque dans l’auto. Michaël me dit qu’il a trainé sa bouteille pour rien et que le parcours se prêterait quasiment à une compétition régionale de vélo de montagne tellement il y avait des trous dans les rues. Il a malheureusement raison. Espérons que ces trous ne seront pas la cause d’accidents de vélos et que la ville les bouchera rapidement. Ça serait triste que quelqu’un soit frappé par un véhicule en raison d’une chute dans un trou ou encore en tentant de le contourner à la dernière seconde. On se réchauffe ensuite rapidement dans l’auto et on reste ensemble pour quelques minutes dans cet état solennel de recueillement silencieux de la randonnée. Il fait peut-être encore froid dehors mais finalement je m’en contrefiche pas mal : au moins, nous, on n’a pas été refroidi à jamais par un accident de vélo. Espérons que le mercure ne redescende jamais pour de bon avant terme ! Vous n’y étiez pas ? Dommage, il faisait très chaud… Denis B. |