26 août 2008: Lette à Marie-Hélène, par Pierre Gendron

Chère Marie-Hélène.

J'étais vendredi dernier à la Baie de Beauport avec tous tes admirateurs et amis. Une belle soirée chaude sur les bords du fleuve où la bière avait belle gueule et où tous attendaient avec impatience de te voir courir avec ta détermination habituelle; tous te voyaient sur la plus haute marche en train de faire plaisir aux photographes en mordant dans ta médaille d'or.

Dès ton apparition sur l'écran géant, on s'est tous mis à crier nos encouragements. Ton inhabituel départ canon nous faisait croire à une course où tes poursuivantes allaient souffrir.

J'ai décidé de me commander une deuxième bière après ton premier tour; après tout je pouvais la prendre sans le danger du .08 car la soirée s'annonçait joyeuse et longue. Mais je ne l'ai jamais prise, l'image de toi et Michel sur le bord de la piste n'annonçait rien de bien.

Si c'est l'fun d'être une grosse gang pour fêter un événement joyeux, c'est le contraire quand ça va mal. J'ai décidé d'aller à la maison pour voir Spitz pédaler seule comme un robot et gagner TA médaille. J'ai pris un gin-tonic.

J'ai lu les entrevues données par Jérôme et Michel. Je comprends leur désarroi en te voyant après la chute de Fullana. Ils ne t'avaient jamais vue comme ça auparavant. Je suis sûr que toi-même tu ne t'étais jamais sentie comme ça auparavant et que tu ne pouvais alors t'en sortir.

Quand j'ai entendu tes entrevues lors desquelles tu minimisais l'incident et appliquais la méthode MHP à la chose, j'ai été sous le choc.

Je t'ai vue courir avec ce faciès fermé, concentré à la limite, une expression «killer»; je t'ai vue rattraper des retards quasi insurmontables pour d'autres personnes que toi. Tout ça annonce une très grande force mais aussi un désir de vaincre peu ordinaire, très peu conciliable, pour la télé et les médias, avec cet air désinvolte et ce sourire à faire fondre un iceberg. Je ne crois pas que la plus importante course de ta vie soit devenue une course comme une autre.

Marie-Hélène, tu portais sur tes épaules: ta famille, tes amis, tes supporteurs et un pays en entier. Pour le Canada et le monde entier, toi et Van Koeverden étiez les seules médailles canadiennes garanties. De plus je devine que cette médaille devait couronner une carrière sportive pleine d'honneurs et, ne l'oublions pas, de sacrifices. Pédaler dans un cabanon en été à côté de la pompe de la piscine, ça demande une certaine dose d'abnégation.

Mais que s'est-il passé?

Je crois qu'à ta grande surprise et à celle de tes proches, sur le parcours tu as fait une crise d'angoisse; une peur irrationnelle et incontrôlable. Angoisser ce n'est pas «tchoker».

Lorsque Fullana a tombé et a dérangé ton scénario de course, face à ces tonnes de pression que tu portais, ton cerveau a fait sauté le fusible et a déréglé la partie de toi qui te forcerait à arrêter et ainsi diminuer la pression mentale: ton système respiratoire.

Tu as probablement ressenti comme une asphyxie, cette asphyxie effraie et évidemment fait augmenter les «pulses», même que le «black-out» est possible… surtout quand c'est la première fois de ta vie que cela arrive. Tu es dehors, en plein air et tu manques d'air. Paradoxal!

Marie-Hélène, tu fais preuve d'une grande pudeur de sentiments. Tes états d'âme sont pour tes proches et n'ont pas à être sur les journaux; cela se nomme de la noblesse, de la dignité. C'est pour ça qu'on te voit toujours souriante, détendue, relativisant l'importance des choses qui t'arrivent. Comme les canards, tu glisses gracieusement sur l'onde et les ondes mais tes pattes cachées sous l'eau travaillent en maudit.

Marie-Hélène, je ne sais pas si c'est ta dernière saison, car après tout, ton futur ne fait que commencer; mais profite de ta prochaine course pour dompter ce démon qui t'a coupé le souffle en Chine. Je ne te le souhaite pas et j'espère sincèrement me tromper mais probablement qu'en début de course, il va revenir et tu vas le sentir venir, ce qui va rendre l'air encore plus rare. Si tu peux alors te concentrer rageusement pendant 5 minutes sur l'adversaire à battre (et non pas te concentrer sur TA course et les gens qui attendent beaucoup de cette course) le reste va bien aller. Je pense que malheureusement la santé mentale s'accommode mieux de la rage face à un ennemi qu'on se donne que d'un pays à satisfaire.

Pierre Gendron

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