Journal du TransRockies: Étape 6

Ah! L’étape 6! Quelle étape, les amis! La plus spectaculaire, la plus grandiose! Les qualificatifs me manquent pour la décrire. Toute la journée, nous cherchions les mots pour décrire ce que nous vivions. Les expressions préférées furent « une ride épique », « un classique », « wicked! ».

« wicked » fut d’ailleurs le magic word pour la semaine, vous savez, ce mot-fétiche que l’on se plait à répéter. Nos bikes, une fois nettoyés et réparés par notre mécano MikyD, étaient wicked, la bouffe qu’on se cuisinait était wicked, la coureuse autrichienne qui se promenait en sous-vêtements rouges était wicked, le singletrack était wicked , les descentes étaient toujours wicked , les paysages étaient tous plus wicked les uns que les autres. En roulant, chaque fois que Michel évoquait le mot magique, je lui chantais la chanson des wicked clowns (version mp3).

Le classement général chez les masters ce matin :

1- Nuzautres
2- Rocky Mountain, à 40 minutes
3- K4 Dental à 1h 40
8- Kona/Pedal mag à 7 heures 10

C’est le temps de vous présenter les deux autres équipes qui ont animé la course chez les masters. Les gars du media concurrent Pedal Magazine qui ont gagné hier sont pas des nouveaux venus.

J’ai fait la connaissance de Nels Guloien en 1998, au Championnat canadien à Silverstar, sur le podium des masters 40-49. Depuis, il a gagné (en 1999 et 2000) le championnat du monde des maîtres, à Bromont, chez les 45-50 ans.
Son coéquipier Paul Newitt est dentiste à Vancouver et c’est un vieux de la vieille de la compétition cycliste. Il a fait une dizaine d’années de course sur route chez les élites, et autant d’années de vélo de montagne, chez les élites itou, puis chez les maîtres. Sa force demeure les courses par étapes, alors il est dans son élément dans une course comme le TransRockies. Il a participé à cette course l’an dernier avec Rich Hamilton (Race Face) et ils ont terminé huitièmes chez les seniors, malgré les blessures et la maladie. L’équipe a donc l’avantage de connaître le parcours et surtout… ils roulent sur des King Kikapu! Tout comme beaucoup de compétiteurs ici, d’ailleurs, incluant Eric Crowe, pourtant sur l’équipe qui s’appelle Rocky Mountain! Les gars de Kona/PedalMag, je vous le rappelle, sont loin au classement général juste parce qu’ils ont connu une mauvaise journée. Ils sont capables de nous botter le derrière, ils l’ont prouvé hier.

En troisième position, l’équipe K4 Dental, les polonais Stan Trebunia et Maciek Slodyczka. Stan se prononce Stan, comme un Stan de bicycle quand on était petits. Maciek se prononce Ma-tchique, comme dans Maciek Johnson ou comme dans Maciek a des grosses boules. Ils habitent depuis longtemps à Calgary, mais ce sont des euros dans l’âme. Ils portent le cuissard de l’équipe nationale de pologne, entre eux ils se parlent en polonais, etc.

Stan est le vieux, début cinquantaine, il a participé aux olympiques pour son pays dans le temps, en biathlon. Toute une machine. Maciek est dans la trentaine et encore plus machine. Il a été sur l’équipe nationale de pologne de combiné nordique, et a participé aux championnats du monde junior. C’est eux qui ont gagné l’an passé, alors ils sont ici sur le bras, et ils nous trouvent très forts, ils passent leur temps à nous le dire, nous sommes leurs idoles. Les gars de ces trois équipes que nous côtoyons de plus près, sont tous très sympathiques, et même si ils sont tous très compétitifs, nous avons une relation très saine (chacun son tour d’être en dessous, toujours un condom, etc).

Bon, faudrait ben que je vous conte notre journée. Départ sur l’asphalte pour 8 kilomètres, suivi d’une folle poursuite dans des sentiers rapides, roulants, ben tripants. On débouche sur une route de gravelle moins tripante, vallonnée, faux-plat montant ou moyennes côtes, le tout dans de la gravelle trop molle, comme c’est trop souvent le cas ici. Autour de nous, comme d’habitude, de majestueuses montagnes. À gauche, l’hélico de la course survole le faîte d’une haute montagne dégarnie. Michel et moi on se regarde : « Shit! C’est là qu’on va! » Je peux pas croire qu’on va monter si haut, ça me paraît fou. Comme de fait, l’hélico était pas là pour rien, cette montagne, c’est le top de la journée, la fameuse Cox Hill. C’est pourtant une petite journée aujourd’hui : 70 km et 1800 m de montée. Mais cette montagne me semble tellement haute. Pour la première fois, j’ai un peu de difficulté à suivre. J’arrête pour ramasser mon bidon échappé, et ça me prend 5 minutes à rejoindre le groupe. Mike diagnostiquera plus tard que c’est l’effet de l’altitude qui se fait sentir.

Un ménage s’est fait. Les Rocky Mountain doivent être pas loin derrière, mais on les voit pas. Faudrait qu’ils se réveillent, car ils nous ont dit ce matin sur la ligne de départ qu’ils y allaient pour une victoire d’étape aujourd’hui. Les Kona/PedalMag sont en avant, sur les talons des trois premières équipes senior. Y vont pèter, ça se peut pas. Les polonais viennent de nous rattraper dans le deuxième peloton. Nous voilà au premier feed, et au début d’une interminable montée granny-push-a-bike. Ça me paraît une heure, mettons que ça a dû durer un bon 45 minutes. Michel monte ça comme un chef, Maciek dans sa roue. Moi je m’accroche et Stan fait l’élastique en arrière.

Quand on sort du bois, sur le top de Jumpingpound Ridge, c’est hallucinant! On roule sur un singletrack sur la crête de la montagne, on a la vue sur 360 degrés, c’est superbe. Le sentier descend tranquillement, on roule à fond de train, c’est wicked! L’hélico nous tourne autour. Mike et moi on tripe comme des malades, on en revient pas. C’est vraiment une trail classique, y faut qu’on revienne ici montrer ça à nos blondes, c’est trop hot! Par bouts, on s’amuse tellement que j’ai l’impression d’être ici en vacances, faisant une de ces rides épiques, mais avec plein d’amis. Stan est légèrement largué, ça nous donne le temps de quelques arrêts pour prendre des photos et huiler nos chaînes, comme on le fait souvent à mi-chemin (autre petit truc qui nous a évité bien des problèmes) D’ailleurs, Martin, l’autrichien du team qui mène chez les mixtes, l’incroyable machine à grimper avec sa blonde attachée à sa gay-rope, nous supplie d’emprunter notre huile. On lui laisse la bouteille et on repart.

Maciek, essayant de suivre Ti-Mike, prend une spectaculaire plonge juste devant moi, à un endroit pourtant ben facile. Je lui donne un beau 8 sur 10. Il est blessé, mais juste dans son amour-propre. Stan est encore largué derrière. Une autre montée granny nous amène au deuxième ridge, tout aussi spectaculaire, Cox Hill. C’est hallucinant. La trail est trop le fun pour arrêter, même si ça ferait de belles photos. Faut revenir un jour!

La descente qui suit est une des belles de la semaine, genre une demi-heure de steps, de roches lousses, de beaux tournants, dévalés à toute allure. « one of the classic descents in the canadian rockies ». Ben d’accord avec ça! Et Vive les freins à disques! Les 10 derniers kilomètres, c’est le même singletrack qu’on a pris ce matin, mais à l’envers. Stan travaille fort pour nous rattraper et c’est bientôt les polonais qui mènent un train regroupé de quatre équipes. En arrivant à une route de gravelle, les indication sont nébuleuses et tout le monde s’arrête. (leurs flèches sont les plus ambiguës que j’aie vue de mémoire d’homme. On est loin des belles flèches rouges du RPH) On s’entend pour la gauche et on repart. Non, les deux autres équipes repartent, mais pas nous, pasque Stan a une crevaison. « Pas de panique les gars, on va vous attendre. » « On va même vous donner un coup de main », qu’on rajoute, en constatant les différences culturelles dans leur processus de réparation de flat.

En effet, Stan a pris le temps d’enlever son casque, ses lunettes et ses gants et de tourner son vélo à l’envers, pour enlever la roue avant. Il a remplacé son tube et s’affaire à revisser le petit ring sur la valve presta, vous savez, ce petit ring qui ne sert à rien. Je l’exhorte de tirer ça au bout de ses bras (façon de parler, pas question de polluer), il insiste, il est incrédule. Une fois convaincu, le voilà qui sort sa mini-pompe. Illico, Michel lui fait cadeau de sa cartouche de CO2 et doit lui montrer comment ça fonctionne. Une fois le pneu gonflé, je lui dis de se rhabiller, que je vais replacer sa roue. Il insiste pour remettre le petit bouchon noir sur la valve! « Ben non, Stan!, c’est de la marde, t’as pas besoin de ça, let’s go, on s’en va! »

Nous repartons à la recherche des flags et quelques kilomètres de gravelle plus tard, nous arrivons au finish, le camping de Pine Grove. Nels et Paul sont arrivés premiers maîtres, il y a 10 minutes. Tony et Eric arriveront 16 minutes plus tard, après je ne sais trop quels ennuis mécaniques ou physiques. Stan et Maciek, qui avaient trois médailles de bronze cette année, nous sont éternellement reconnaissants pour cette médaille d’argent que nous leur laissons de bon coeur.

Ça nous a pris 4 heures 22, alors on a un peu de temps à tuer. Comme on a épuisé nos repas lyophilisés, on s’est fait acheter par notre mécano des bons vieux Kraft Dinner. Hestler et Decore l’ont remarqué et nous invitent à leur roulotte, à condition qu’on amène le Krafdineure. Deal!

Les deux équipiers de Pete’s Tofu-Rocky Mountain-Flash5 sont bien logés dans un RV avec chauffeur/mécano. Andreas a particulièrement bien réussi son Kraft Dinner aujourd’hui et nous nous régalons. Nous faisons la connaissance de la soeur de Matt Decore, venue sur place voir les deux derniers jours de course. On croirait voir Mia Wallace dans Pulp Fiction, mais en plus plantureux. Y’est temps qu’on fasse un bout, faut qu’on trouve un moyen d’aller tout de suite s’installer au Kananaskis Mountain Lodge, ce chic hôtel au coeur de Kananaskis country, célèbre entre autres à cause du G8 qui s’y est réuni il n’y a pas longtemps. Comme nous sommes des médias, on nous y accueille gratos, alors on veut en profiter! Seul hic : le shuttle de l’hotel vient seulement en fin de soirée.

On emprunte donc le van de Glen, le sympathique et subtil représentant Oryx/Rocky Mountain, qui voyage notre mécano et qui nous a dépanné tant de fois depuis le début de la course. On déchante pas mal en constatant que le Lodge est à 45 minutes du camping. C’est beaucoup trop loin pour demain matin, et on ferait mieux de coucher sur place en camping. Un coup rendus, on profite quand même de notre chambre luxueuse dans cet hotel luxueux. On a le temps pour un autre Kraft Dinner, une douche, quelques téléphones et un petit power-nap. On quitte vers 5h, faudrait pas manquer le souper au campement! Les apparences sont trompeuses : on dirait qu’on s’est pris une chambre juste le temps d’un petit kwickie. Pour l’an prochain, je ne peux honnêtement vous recommander cet hôtel, car il est trop loin de la course. L’équipe mexicaine et l’équipe Brunet de Québec avaient réservé et ont quand même couché là. (à suivre demain)

Après le souper et les awards, Chester fait monter sur scène le monsieur du Département des Parcs, qui nous a obtenu vers 5 heures l’autorisation pour faire l’étape de demain. Une fois de plus, nous pouvons courser, mais in extremis. Tout le backcountry est fermé à cause des feux. Nous sommes la seule activité récréative tolérée et nous sommes très chanceux d’avoir obtenu cette permission spéciale. On l’applaudit chaleureusement.