Ayoye!!!!

Note du webmestre: En attendant que Gilles nous fasse rêver par la description de ses activités sportivo/matrimoniales, Pierre Gendron nous propose ces quelques lignes moins « glamour » mais dans lesquelles plusieurs vont se retrouver…


Il fait beau dehors, j’ai trois vélos dans la cave qui comme des poissons morts pendus à un hameçon sont accrochés, immobiles, à une solive. Une bonne partie de mon budget loisir annuel amasse la poussière justement au moment où tout ça devrait se rentabiliser.

Et pendant ce temps je suis réduit à regarder des reprises de Seinfeld avec de la glace sur l’épaule en sirotant une autre bière de trop.

Alors que mes amis prennent de la vitesse en s’entraînant, je prends du bide en m’évachant.

Je n’ai pas retenu le nom de la série de muscles que je me suis «scrappés» en tombant sur l’épaule, mais j’ai surtout retenu la phrase de l’empathique doc qui me disait que j’en avais pour 4 à 6 mois avant de retrouver l’usage sans douleur de mon bras droit (lire ici épaule droite). Tout de suite s’est levé devant moi tel le monstre à trois têtes Cerbère, les trois spectres d’une fin de saison abrupte sans cumul (première fois en 17 ans); d’une saison de cyclo-cross menacée et enfin de la privation du plaisir de faire la première sortie de ski de fond à la Forêt Montmorency (lorsque tout le monde se dit bonjour à l’aller comme au retour sur la seule piste ouverte dont j’oublie le numéro).

«Une blessure en pleine saison c’est de la marde» (anonyme).

Tout d’abord il y a le mal. Ça fait mal se blesser.

Quand on tombe, à moins d’y perdre connaissance, on se relève rapidement et on fait un rapide et craintif inventaire des endroits atteints. La douleur n’est pas encore arrivée. L’adrénaline fait fonctionner le tout. Puis la douleur s’installe et nous informe si notre inventaire des dégâts pèche par optimisme, elle guide notre deuxième évaluation et nous force à accepter le verdict final. Le pire c’est de devoir prendre la décision d’aller à l’hôpital et ensuite d’attendre en maillot mouillé, cuissard cuisant et souliers souillés le verdict d’un tas de gens en commençant par les gens de la salle d’attente suivi de celui du responsable du tri qui te demande de lui raconter comment c’est arrivé (ce ne sera pas la dernière fois que l’événement humiliant devra être raconté) ; le deuxième tome de la même histoire sera sollicité par le médecin de garde et la technicienne en radiologie et enfin les compagnons pas trop amochés de la salle d’urgence (qui eux espèrent que ta narration sera courte car ils piaffent d’impatience pour raconter leur histoire)

On refuse habituellement les pilules proposées par le doc en ayant en mémoire cette brave phrase de Lance : «La douleur c’est de l’information». Ce n’est pas tellement par machisme mais tout simplement parce qu’on veut guérir plus vite. Se geler les symptômes t’éloigne de la guérison des causes. Avec le temps d’ailleurs le mal se transforme en inconfort.

Par contre c’est le quotidien qui clashe

La nuit, ça fait mal quand on se retourne par mégarde sur l’endroit blessé et comme on veut éviter ça à tout prix on s’endort en pensant de ne pas bouger. C’est comme lorsqu’on fait du camping dans la même tente avec des gens nouveaux, on s’endort en pensant qu’il ne faut pas ronfler ni péter. C’est la même chose quand on va en congrès et que l’employeur nous «booke» une chambre de deux lits pour 4 personnes. On dort de la pointe des yeux seulement.

Les petits gestes mécaniques quotidiens deviennent des épreuves d’ingéniosité. Se lever du lit demande une réflexion et la mise en place d’un système d’appuis et contrepoids digne des mobiles de Calder. Mettre un T-Shirt se vit comme un accouchement: il y a de la douleur lorsqu’un trop grand bras doit passer par une si petite ouverture. Il y a risque de refroidissement lorsque je dois mettre ma bière entre mes deux jambes pour pouvoir dévisser la capsule de ma seule main saine. L’hygiène personnelle est source de souffrance tant physique que mentale. Avez-vous déjà réussi à laver votre main et bras gauche à l’aide de votre main et bras gauche?. Et lorsqu’on est droitier ou gaucher et que cette main favorite est en berne, le refus de donner ici dans la scatologie m’empêche de décrire l’opération matinale complète qui, on le devine, se conclut par le problème décrit juste avant. C’est un cercle vicieux ou plutôt vicié.

Le mal n’est pas que physique, il y a aussi la solitude.

Faire un sport de compétition implique entraînement et évidemment compétition donc inscription à des courses, rencontres d’amis, échanges, conversations etc En somme la compétition nous fait faire partie d’une gang.

Quand tu es blessé, ta nouvelle gang c’est les gens qui toussent en lisant l’Actualité de septembre 1999 dans la salle d’attente de l’hôpital; ta nouvelle gang c’est les personnes bien intentionnées qui, à ta clinique de réhab, pensent que c’est effrayant qu’un homme de mon âge se prenne pour un jeune en faisant un sport exxxtrêêêêême et que cette blessure devrait lui servir de leçon.

Il y a aussi l’anonymat, l’ordinaire.

Faire du vélo de montagne, faire de la descente n’est pas le quotidien de beaucoup de gens. On tend à oublier ce fait. Il y a moins de 400 adultes dans la grande région qui font de la compétition de vélo de montagne. C’est une minime fraction de la population . Faire partie du circuit de courses tant régionales que provinciales est réservé à une élite sportive. En être privé, quand on y a goûté, est difficile. On devient lentement sportif au lieu d’être un athlète.

Le seul côté positif dans cette affaire c’est… qu’on a le temps de réfléchir sur la cause de l’accident et qu’on en tire des conclusions qui pour moi sont de faire plus de vélo de montagne et de descente et de réduire mon usage des pistes cyclables trop dangereuses.

Pierre Gendron