M. Moore, l’homme d’affaires à vélo

Vous me reconnaissez? C’est moi, M. Moore, le gars qui fait des affaires à vélo. Je suis l’homme d’affaires écolo, qui ne fait rien comme les autres. Quand j’ai à rencontrer des clients importants à New-York, j’y vais toujours en vélo, habillé de mes bottes et de mes pantalons blancs avec sur le dos deux gros gilets de laine et un anorak d’hiver. Je transporte mes documents dans une espèce de vieux sac tout croche avec juste une poignée, et je décore mon guidon d’un casque à palette LG. Mais ce qui épate le plus mes clients, c’est mon vélo. Il est vraiment unique. Vous savez, les hommes d’affaires en voient de toutes les sortes: des vélos de 29 pouces, des tout rigides, à juste une vitesse, à pignons fixes, alouette… alors ils sont un peu blasés. Mais lorsqu’ils me voient arriver avec mon vélo à pédalier inversé, je vous jure que ça fait son petit effet.

Que voulez-vous, ça prend des pionniers pour faire avancer la science. Mes clients apprécient mon tempérament fonceur et je vous dis que ça niaise pas pour closer les deals. Je commence à jouir d’une certaine reconnaissance pour mon talent de visionnaire. Desjardins me cite en exemple et y’a même Radio-Canada qui prépare un reportage sur moi. J’ai rencontré un journaliste, M. Gravel, à deux reprises, et ça se passe plutôt bien. En fait, je trouve qu’il insiste un peu sur certains aspects que je juge moins intéressants, comme… Yoù c’est que j’ai trouvé ma roue libre, mon pédalier et mes dérailleurs pour qu’ils marchent du côté gauche, pourquoi j’atterris à La Guardia et je fais un grand détour pour aller prendre le ferry de Staten Island, pourquoi je reste à la pluie dans la seule partie du traversier qui est pas à l’abri, pourquoi j’ai pas d’ailes sur mon bike, pourquoi je m’habille en blanc, quelle est la longueur de la raie noire dans mon derrière quand j’arrive chez mes clients, comment je sens la swing à cause chus trop habillé, pourquoi, pourquoi… heille ça finit pus, pourquoi c’est qu’il s’acharne sur moi comme ça? J’en ai parlé à mon psy, on a fait le tour de la question, et il m’a conseillé de lâcher le morceau, que c’est ce qui me ferait le plus de bien… alors voilà, je sors du placard… J’appelle M. Gravel. Bon, y’est pas là, parti en Arizona… Je peux- tu parler à quequ’un? On me passe Jean-Régis, son assistant, à qui je fais mes aveux…

Je suis le fruit de l’imagination d’une équipe de publicitaires vachement branchés à l’agence LG2, dirigés par un sympathique génie de la création nommé Gilles Chouinard. Je sais pas si c’est lui ou un directeur artistique ou un infographiste (voulant devenir un jour directeur artistique) qui a décidé un jour de flipper l’image de gauche à droite pour que ça fezze plusse beau avec la ville à droite, mais il ne se doute pas de tout la pression qu’il m’a mise sur les épaules. Oui, je suis vite en affaires, mais le monde me trouvent tellement weird que y’a pu une banque qui veut de moi, et c’est pour ça que je me ramasse chez… Desjardins.