Journal du TransRockies: Étape 5

J’ai mal dormi cette nuit. J’ai rêvé que je grimpais une montagne avec une gay-rope accrochée à ma selle et que je tirais Marc Durand. L’élastique a pété, je l’ai reçu en arrière de la tête, ayoye, Marc a déboulé la montagne jusqu’en bas, s’est retrouvé dans le studio 42 pour la fameuse émission La Fourreur pis la fille à côté de lui a pogné un choc électrique en pésant sur le bouton mal groundé pis les cheveux y’ont dressé sur la tête et elle ressemblait au chanteur de The Cure et elle s’est mise à chanter « Boys don’t cryyyyyyy ». Quel cauchemar les amis.

Ce matin, il fait moins froid qu’hier et le ciel s’est libéré de la fumée d’hier. Nous nous présentons à la ligne de départ dans nos nouveaux maillots vert euro-fluo de leaders, ça donne une impression bizarre, mais on devrait s’y habituer. L’étape débute de façon agréable avec 30 km d’asphalte et de route de gravelle roulante. Une chance, parce qu’on a 107 km à faire aujourd’hui, avec 2250 mètres de dénivelé. L’important peloton sur l’asphalte s’est transformé en un plus petit peloton de 7 ou 8 équipes dans les vallons gravelés, moins dangereux. La route est fermée à la circulation et c’est bon de le savoir quand on prend les tournants en aveugle, à la corde, à 70 km/h. Notre stratégie est simple, aujourd’hui : rester dans la roue de l’équipe Rocky Mountain, sur laquelle nous avons 13 minutes d’avance. Il ne faut pas non plus négliger la troisième équipe, les polonais Stan et Maciek, qui doivent être à 30 minutes derrière, ayant été victimes de crevaisons et problèmes mécaniques. La quatrième équipe à surveiller est celle du média concurrent Pedal Magazine et ils ont un retard insurmontable, genre 7 heures. En effet, lors de la deuxième étape, Nels Guloen avait dû abandonner en raison d’un coup de chaleur. Paul Newitt avait terminé seul, mais on leur a donné un temps de 14 heures. Ils sont loin dans le classement mais aussi forts que nous.

Ces quatre équipes sont présentes dans notre groupe lorsqu’on arrive dans une immense clairière, avec aucun flag à l’horizon! Tout le monde se met à tourner en rond, pris de panique. Je vais explorer du côté gauche, où j’ai vu disparaître une équipe tout à l’heure. Mais ici, il faut éviter de tomber dans le panneau et penser être sur le droit chemin juste parce qu’on suit une autre équipe. L’équipe qui mène chez les mixtes l’apprendra à ses dépens aujourd’hui, en faisant 30 km de trop. Non, dès que tu arrives à une intersection et qu’il n’y a pas de flag en vue, tu dois te poser des questions. Je ne trouve aucun flag dans cette direction. Eric est choqué : « This is not good! This sucks! » « This is funny » que je lui réponds.

Les équipes des autres pelotons nous rejoignent et nous voilà une trentaine à s’esbaudir joyeusement dans la clairière dans la confusion la plus totale. C’est tordant. Mike, le sage du groupe, rebrousse chemin jusqu’à la route de gravelle et nous lâche un cri car il a retrouvé le chemin. Tout le monde se précipite sur ses traces. La quête aux rubans continue et ce n’est pas évident. Nous apprendrons plus tard que quelqu’un aurait enlevé des rubans et que la moto chargée d’aller refaire le marquage est tombée en panne!

Différents leaders s’essaient à l’avant et manquent des flags, et c’est Mike qui doit prendre la tête pendant que je dis aux autres de relaxer, que c’est le gars le plus fiable à suivre dans les circonstances. Entoucas, moi, c’est le seul que je truste, les autres sont trop énervés. Ça monte granny pendant de longues minutes, puis une descente grisante nous amène dans une plaine sauvage, où la route s’élargit. On se retouve à trois équipes seulement, nous, les Rocky Mountain et des gars de Calgary qu’on a avait pas vus avant et qu’on appellera Team Manches longues en raison de leurs T-shirts à manches longues. Team Rocky semble soudain réticent à rouler en avant et le pace devient très relax.

J’en profite pour faire une photo de groupe et on continue notre petit bonhomme de chemin dans un paysage grandiose. Soudain je sens que j’ai beaucoup plus de suspension. En fait, mon bike devient très mou. Crevaison! Nous sommes dans une descente, les Rocky Mountain sont à l’avant. Je signale discrètement à Mike le problème et nous nous tassons subtilement sur le côté de la route. Subtilement, car je redoute que les gars ne nous attaquent, voyant notre pépin. Je veux qu’ils continuent à ce pace très mollo le plus longtemps possible.

Nous réparons en deux ou trois minutes (le travail d’équipe accélère les choses) Michel se paie ma tête et se la paiera toute la semaine, à cause qu’en arrêtant, je me suis mis à démonter ma roue arrière alors que la crevaison était à l’avant! Ben quoi, j’avais l’impression que c’était mou en arrière, y’a pas de quoi en faire un plat, franchement! Non mais quand même.)

On repart, cette fois-ci à fond de train. Tellement que Mike doit me dire de slacker pour pas brûler trop de gaz. C’est la première fois de la semaine qu’on a l’impression d’être dans le trouble. On traverse la rivière Elbow à gué. C’est la plus grosse traverse, mais comme il n’a pas plu depuis longtemps, ça se fait bien. J’imagine l’an passé, alors que la rivière était gonflée par les pluies, hissh!

On finit par voir des coureurs devant nous et on rattrappe notre peloton sur un bout d’asphalte faux-plat montant avec un méchant vent de face. Ouf! Quelques cartouches brûlées mais nous revoilà en meilleure position. Pendant notre crevaison, des équipes ont passé et rejoint notre peloton. Parmi eux, les Pedal magazine et quelques équipes senior. Les gars de Rocky Mountain nous assurent qu’ils ne se sont pas rendu compte de notre absence et qu’on aurait dû leur dire et qu’ils nous auraient attendus car ils nous en doivent une. On les croit mais j’aime mieux pas pendre de chance.

On arrive à la deuxième difficulté de la journée : la montée vers Powderface ridge. Une route de gravelle ben lousse qui monte à l’infini. Tout le monde cherche une ligne moins molle. Une équipe se détache devant, au train, mais personne n’a le goût de les chasser. Je suis sûr que ce sont des seniors et n’en fais pas de cas. En fait, ce sont les masters de Pedal Magazine, en route pour la victoire d’étape! D’autres équipes sont larguées à l’arrière, si bien qu’on se retrouve bientôt avec Team Rocky mounda et Team manches longues. Ces derniers ne comprennent pas trop ce qui se passe, car c’est leur première course à vie. Sur le plat, on avance pas et personne ne veut aller à l’avant; quand on arrive à du singletrack, les Rocky passent à l’avant et on se précipite sur leurs traces, demandant le passage aux Manches longues. On leur explique le contexte. Ils n’avaient même pas catché que nos maillots verts voulaient dire que nous menions dans notre catégorie.

On monte du singletrack très abrupt, technique par bouts, jusqu’au sommet de Powderface. C’est superbe, une des trails populaires de la région. La descente aussi est capotée. Ça roule au fond, des grands bouts en devers à 45 degrés, attention de pas accrocher une pédale! La descente devient plus rock and roll, avec des petites droppes et beaucoup de roches coupantes dangereuses pour les flats. Eric et Tony y vont assez agressifs, nous on est prudents, mais on ne les perd quand même pas de vue. Soudain, coup de théâtre no 2 : Eric doit s’arrêter, son dérailleur arrière a monté dans ses rayons et tout a arraché. On lui donne un coup de main pour démêler la chaîne, et il s’avère que c’est pas la patte de dérailleur qui a cassé mais le dérailleur lui-même. Si ça avait été la patte, j’aurais pu lui prêter celle que je traîne dans mon sac, on a le même Kona King Kikapu. Eric lâche quelques jurons. Il se retient mais on sent qu’il bouillonne par en-dedans, parce qu’il sait que toutes leurs chances de gagner viennent de disparaître avec cette bad luck. Nous aussi on s’en doute et on est donc pas pressés de repartir. Michel suggère à Eric d’enlever sa chaîne pour terminer la descente (encore un bon 20 minutes de descente certain) et ensuite de se faire un singlespeed pour terminer la journée. Eric nous remercie et ne cesse de nous dire de continuer, de ne pas l’attendre. Il a raison, on peut pas faire grand-chose pour l’aider maintenant et notre compassion n’aide en rien. On reprend donc la descente, croisant bientôt Tony, qui était parti en peur et a dû faire quelques kilomètres avant de s’apercevoir qu’il était tout seul. Ça descend en malade pendant une méchante secousse. On arrive ensuite au deuxième ravitaillement. Un court arrêt et on repart en compagnie de Karen et Marvin Masson, d’Atlanta, qui leadent aujourd’hui chez les mixtes, parce que les autrichiens se sont perdus. Le singletrack est le fun, c’est up-and-down et les descentes sont tripantes.

Il reste une autre montée granny-push-a-bike et pour la première fois, je manque un ti-peu peu de jus pour suivre Ti-Mike. Est-ce lui qui a accéléré ou moi qui faiblis? Anyway, on finit par arriver au top. La vue est superbe, on prend le temps d’arrêter pour des photos. Descente le fun encore une fois, pour aboutir dans une plaine et retrouver des signes de civilisation sous forme de route asphaltée et de quelques campings.

Les 20 derniers kilomètres s’étirent ad nauseam. Un peu d’asphalte, beaucoup de sentiers de ski de fond très larges, vallonnés. J’ai pus du tout de misère à suivre Michel. Est-ce moi qui ai refait mes forces ou Michel qui faiblit? C’est les deux. Sur l’échelle « bonk/ Défaillance majeure/ baisse d’énergie/ OK/ Top shape/ En feu, Michel se diagnostique comme étant en phase « baisse d’énergie ». On avance pas très vite. On retrouve l’asphalte pour les derniers 8 kilomètres, qui nous amènent au village de Bragg Creek. C’est l’arrivée sur le stationnement du centre d’achats. Il y a beaucoup de monde, beaucoup d’animation, c’est tripant. On constate qu’on est pas les premiers masters, les Pedal magazine sont arrivés il y a dix minutes. Good! Bien travaillé les gars! On apprend la mauvaise nouvelle aux épouses de Tony et Eric, qui s’étonnent de ne pas les voir avec nous. À notre grande surprise, ceux-ci arrivent après juste 15 minutes. Ils remercient Ti-Mike pour ses conseils, car ils ont descendu pas de chaîne jusqu’en bas, où était le ravitaillement, et là, il y avait un mécano avec un dérailleur dans son char. Ils ont donc pu réparer et continuer. Bien sûr, il y a matière à disqualification pour aide extérieure, mais l’éthique des raids prévaut ici aussi, alors pas un mot sur la game!

On a bien mérité un bagel et je vous recommande le bagel shop de ce centre d’achat, où les serveuses ne sont pas recrutées pour leur Q.I. mais pour leur linge serré. On avait réservé un bed and breakfast pour ce soir et Marge, la propriétaire du Evergreen B&B, vient nous chercher vers 3 heures. Quel service! Dans l’immense cour de la maison de bois rond, on prend une tite douche, on fait un ti lavage, des tits étirements et Ti-Mike nous prépare un ti-lunch lyophillisé. On téléphone à la maison car ces deux derniers jours, le téléphone satellite était le seul moyen de communication avec l’extérieur.

Nos voisins de chambre sont un couple de Montréal venus voir leur fils de Calgary, qui fait le Transrockies. Voilà le lift qu’il nous fallait pour retourner au souper en ville! Ça se passe dans le centre communautaire et ils ont tout fait en grand : musique live pour accompagner le copieux souper de lasagnes et salades diverses, discours du maire et toute l’outfit. Tout Bragg Creek nous attendait depuis longtemps et ça se sent.

Le film en soirée nous présente entre autres les cyclistes tentant de traverser la Elbow river à gué. La veille, dans sa présentation du parcours, Ward nous avait mis au défi de la traverser en roulant. Plusieurs ont relevé le défi et pédalé jusqu’à faire du sous-marin. Tous se sont mouillés. On s’est bien bidonné.