Steve Tremblay, qui pédalait en Bolivie sur les traces du Che il y a quelque temps, nous transmet la suite de ses aventures. Vous y penserez quand ça ira mal dans un raid.
« Je suis de retour de la jungle avec quelques kilos en moins. Je suis sain et sauf. J’ai vécu une expérience incroyable, où la prudence, la persévérance et le travail d’équipe prennent tout leur sens. Pour faire un résumé en un seul mot, WOW!
Samedi le 24, départ prévu depuis Rurrenabaque. Mais en ce matin, il y a un épais brouillard sur la piste d’atterrissage. Donc, nous avons fait un voyage d’une heure vers un autre piste. Si la piste de Rurre est de type de brousse, nous pouvons dire que celle de Reis est de type « bousse ». La piste de Reis est en plein champ de vaches! Nous arrivons sur Apolo dans les temps prévus depuis Reis. Nous préparons les vivres pour la randonnée de 4 jours finalement (notre client s’était trompé, il pensait que c’était 2 jours aller-retour mais c’est deux jours aller et deux jours retour). De Apolo, nous faisons 2 heures de 4X4, pour arriver au petit village nommé Puchasucho. Les gens y parlent le Quecha. Pour obtenir le droit de passage sur leur territoire, nous devons demander la permission au conseil de la communauté. Alors là, le show! Tout le village est réuni autour de nous (Ivar et David de Care Bolivia, Yuddy, Martin et moi de BGJLR) et ils nous posent des questions très politiques et ils ne veulent pas que l’on entre sur leur territoire. (Ça va pas bien!). Ils se consultent en Quecha et nous posent les questions en espagnol. Ivar a utilisé toute sa diplomatie et sa patience pour répondre à leur inquiétude. Je me suis même permis une intervention durant les 2 heures de négociation. À la fin, ils acceptent par consensus. Ils nous permettent d’y aller mais tous n’y croient pas que nous arriverons à notre destination d’étude. Il est trop tard pour partir. Donc, nous dormons dans leur école. Leur maison sont faites de adobe (terre cuite ou bouette sèche) avec comme plancher de la terre battue et comme toit de la paille. Ils nous amènent des matelas de gymnase et nous nous y installons pour dormir.
Dimanche le 25, départ prévu à 7h00 mais ils n’ont pas trouvé les deux mules et le cheval qui doivent nous accompagner. Car leurs animaux sont en pâturage et la nuit ils ne voient pas grand chose surtout quand il pleut, et il pleut en ostie. Alors, lorsqu’ils trouvent les animaux, nous partons vers Curisa en 4X4. 2 heures pour faire 15km. Il faut sortir du véhicule pour reconstruire le chemin où la pluie l’a détruit. Et nous faisons les passages dangereux à pied tout en regardant le chauffeur suer la grosse sueur de peur et de stress (il y a de quoi quand les roues passent à 2 cm du précipice de 100 pied). Finalement, sous le regard perplexe des gens du village de Curisa, nous préparons l’équipe. 2 mules qui portent l’essentiel des bagages, 1 cheval au cas où quelqu’un serait blessé, David, Yuddy, Martin, les deux guides Orlando et Sylvio, et moi. Après 200 mètres d’ascension sur 1000 à faire la première journée, Martin explose. Il ne peut plus avancer. Trop gros ou pas assez en forme? Donc, l’équipe est réduite après seulement 45 minutes. Pluie torrentielle, tout est mouillé. Nous arrivons dans une plaine que eux appelle Pampa. Il n’y a pas d’arbres. C’est un bel endroit, Yuddy et moi sommes fatigués, nous proposons de faire le camp là. Ils sont tous d’accord, nous montons les tentes et préparons le feu pour la bouffe. Le lieu s’appelle Tunami, c’est à 1950 mètres d’altitude, il y a un ruisseau et pas beaucoup de mouches. Parfait pour quelqu’un qui aurait la diarrhée.
Lundi le 26, le réveil est splendide. Il y a une brume qui s’élève de la plaine. Les montagnes de forêts se dessinent tranquillement au fur à mesure que le brouillard se disperse. Il commence à pleuvoir. Nous partons vers une descente de 800 mètres dans la face d’un boeuf. Yuddy, moi et David avons les articulations assez amochées. Nous nous installons à Cauli pour dîner. Cauli est un petit village où quelques personnes vivent. Imaginez un village à 2-3 jours de marche du plus proche hôpital. Pas de route qui s’y rend, juste des sentiers pour les plus endurcis. Justement, il y a une femme qui a accouché et qui fait une hémorragie interne. Ça fait un mois qu’elle va mal et elle ne peut pas marcher. Son sort est triste mais c’est la vie de la jungle. Nous y achetons une poule que nous tuons, déplumons, cuisons, dégustons et rotons. J’ai la diarrhée, j’ai un torticolis et ma piqûre à la cuisse de la nuit passée me donne de la fièvre. Finalement, je vais pas diable. Nous devons continuer car une ascension de 900 mètre nous attend pour arriver à l’ « incescial » (Endroit où poussent des arbres qui produisent le incenscio, produit qui sert à purifier selon les croyances locales andines). Nous marchons comme des zombies sous la pluie. Nous arrivons à l’ endroit où nous devons laisser les animaux. Car les derniers 300 mètres se montent comme des escaliers (ne pensez pas à des escaliers mais plutôt à des racines et des roches à flanc de montagne). Donc, les mules et le cheval ne peuvent pas monter ça. Je n’en peux plus, je suis en défaillance. J’ai de la fièvre forte et je n’ai plus d’énergie. Yuddy est exténuée aussi. Je suggère de monter le camp là et de faire l’ascension finale le lendemain. Je me vois mal faire cette ascension dangereuse dans l’état où Yuddy et moi y sommes. Tout le monde acquiesce. Et là, j’y passe ma pire nuit (fièvre, crampes intestinales, insomnie, pluie, tonnerre). Ostie, est-ce que je revenir de cet endroit?
Mardi le 27, je me lève tout étourdi, j’ai pris des antibiotiques pour le flux et ça m’a permis de dormir un quelque 2 heures. J’enfile deux Tylenol 500 et je me force pour dire Buenas Dias aux deux guides infatigables qui déjà s’affairent à préparer le déjeuner. Et voilà, entre deux diarrhées et crampes d’estomac, nous partons vers le sommet où se trouve le fameux « incencial « . 300 mètres de montée qui tiennent plus de l’escalade que de la marche. Il pleut. Encore! La montée est dans la bouette avec des racines, déjà on commence à voir quelques arbres d’incencio. Des grosses feuilles vertes qui ressemblent aux plantes caoutchouc de nos mères. 2 heures plus tard, nous sommes au sommet. Déception! Il y a des nuages. Consolation, il y en a toujours des nuages à cet endroit! Nous venons d’entrer dans le « bosque nublado » (forêt nuageuse). C’est à dire qu’il y a toujours des nuages à cet endroit et c’est très facile d’y croire. La végétation est très dense et humide, il en va de soi. Le chemin, est un demi tunnel de mousse qui descend vers une autre vallée qui ne voit le soleil que très rarement dans l’année. Entre deux crampes d’estomac ou d’intestin, nous prenons des points GPS, des photos et quelques minutes de vidéo.
Nous descendons quelques 10 minutes vers des arbres d’incencio plus matures afin d’avoir un échantillon plus significatif. Et voilà! Nous, Yuddy et moi, sommes les deux premiers étrangers, non-boliviens, qui accèdent à cette région hostile. Ceux de Pucasucho seront bien surpris de savoir ça! Plusieurs ont déjà tenté de s’y rendre mais ils n’ont pas toffé; soit par manque de préparation ou manque d’énergie ou manque de confiance. Nous avons réussi, pas par notre préparation, pas par notre énergie mais plutôt par notre confiance et notre détermination.
Maintenant que nous sommes arrivés au bout du monde, allons-nous être capable d’y revenir? Une crampe d’intestin me rappelle que se ne sera pas facile! Nous redescendons jusqu’à Cauli sans trop de problème en trois heures, nos guides sont surpris par la vitesse car ils arrivent en même temps que nous! (Il faut dire qu’ils ont dû préparer les mules et le cheval pendant que nous avions commencé notre marche). Nous en profitons pour acheter un autre poulet que nous amènerons jusqu’à Tumani pour le manger. Il servira pour le souper et le déjeuner (les deux meilleur repas du voyage). Mais là, un autre problème arrive, après avoir passé trois jours sous la pluie, c’est mon entre cuisse qui est irritée. Mais, pas grave on arrive bientôt. C’est là que l’on entreprend l’ascension de 800 mètres vers Tunami (le premier camp). Je dois utiliser le cheval pour la dernière heure car j’ai l’entre jambe en sang. Je suis top shape maintenant, mes antibiotiques ont fait effet et je n’ai plus de crampe d’intestin, ni de fièvre. Je recommence à faire des jokes et la pluie cesse. Tout va bien sauf que Yuddy est très fatiguée. David commence à avoir les traits tirés et nos deux guides frais comme des roses comme si il ne s’était rien passé d’anormal dans leur vie.
Mercredi le 28, le réveil est parfait, nous n’avons aucun stress. 4 heures de marche dont 1000 mètres de descente dans la face d’un boeuf. Pour ma part j’appréhende cette descente car, sans ménager les mots, je suis un gros. Alors, me braker à chaque pas nécessite beaucoup d’énergie et de souffrance à mes articulations. Néanmoins, nous réalisation cette descente sans trop d’effort car nous avons utilisé le fameux cheval qui a rendu service à Yuddy plus qu’à moi. Nous arrivons à Curisa vers les 2h00 de l’après midi. Nous nous baignons dans rivière et attendons jusqu’à 6h30 l’arrivé du 4X4. Entre-temps, nous apprenons d’une autochtone de Puchasuco l’histoire de Martin. Trop drôle! Il est parti en moto de Curisa, s’est planté 5 minutes plus loin et est arrivé à Pucasucho moitié mort de fatigue plein de bouette. Finalement, il est arrivé à Apolo le lendemain avec l’aide d’assistant pour reprendre la moto dans le ravin. Nous sommes content de savoir qu’il est sain et sauf.
Le retour est simple. 4 heures de 4X4 pour faire 40 km (nous avons fait un flat en plus), et 12 heures de 4X4 pour rejoindre La Paz, 300 km.
Bref, c’est une expérience mémorable. Nous avons appris beaucoup sur la misère des gens de ce coin de pays. Ils passent près de 10 à 20 jours dans ces conditions pour aller chercher quelques dollars de revenu avec l’incencio. Ce sont des gens heureux, souriants, fiers, athlétiques et chaleureux. Autour du feu le soir, nous étions 5; David est ingénieur en agronomie de la Paz et à 31 ans, Orlando possède un terrain avec des arbres d’incencio à 3 jours de marche de chez lui et a 31 ans , Yuddy est ingénieure en cartographie du Pérou et à 32 ans, Sylvio possède des mules et un cheval et a 21 ans et moi 31 ans. 5 personnes ayant des destinées bien différentes. Du premier oeil on pourrait avoir un sentiment de pitié sur certains mais une fois ces personnes assis autour d’un feu dans le fond de la jungle, le sentiment de pitié n’est plus dirigé sur les mêmes personnes. Qui est mieux, qui est chanceux, qui ne l’est pas? Je me promène dans les aéroports et je vois des gens avec des costards dispendieux et des mallettes pleines de trésors qui marchent sans sourires et sans bonheur dans leurs yeux. Alors, que dans le fin fond du monde, il y a plein de gens vêtus de haillons tachés, souriant et heureux assis près de leur maison construite de bouette et de paille.