Les héros du dimanche, par David Desjardins

Vous connaissez David? Vous l’avez peut-être entendu sur les ondes de CHYZ dans le temps, ou fait appel à ses judicieux conseils derrière le comptoir de la défunte boutique Mont-Vélo. Sinon, vous pouvez lire sa prose caustique à chaque semaine dans le journal VOIR, dont il est le rédacteur en chef. David est un « Week-end Warrior » avoué et accompli. Comme son niveau de forme s’améliore, il est maintenant en mesure de réfléchir tout en roulant, et avait envie depuis longtemps de consigner sur papier ses réflexions sur le vélo de montagne. Juste pour le plaisir.

Voici donc sa première chronique des Héros du dimanche. Il s’agit d’une chronique poético-métaphysique de mise en situation où il explique ce que sont ces fameux héros qui s’ignorent : ceux qui achètent les vélos, qui paient pour que les coureurs aient des commanditaires, qui lisent le magazines, mais dont personne ne parle presque jamais. Ignorés, mais paradoxalement les plus importants acteurs du sport.


Les héros du dimanche -Cette année, ça va être ta revanche pour toutes les fois où c’est nous qui t’avons attendu en haut, m’a dit François en vérifiant ses freins dans le stationnement.

Il ne croyait pas si bien dire. Une demi-douzaine de faces de singe plus loin, je l’attendais en sifflotant. Lui, écarlate et à bout de souffle, m’implorait en hurlant comme un putois de l’attendre. La montagne tournait autour de lui, il avait la nausée.

C’était le tout début de la saison. Les sentiers étaient encore partiellement recouverts de neige, et sur la face nord du Mont-Ste-Anne, tout juste derrière la voie d’accès que nous escaladions, on skiait encore.

François, dont le principal sport hivernal est la marche urbaine -pour aller au dépanneur, à l’épicerie, au boulot ou dans les bars- n’en menait pas large devant le ressuscité que j’étais.

Et il avait bien raison de parler de revanche. Mais cette revanche, je la prenais contre moi-même plus que quiconque.

Un an plus tôt, j’avais mis en veilleuse ma piètre « carrière » de cycliste de montagne. Un ligament déchiré dans l’épaule droite, opéré juste avant l’été, ma physio m’avait formellement interdit de remonter sur mon vélo de montagne avant la saison suivante.

J’allais l’écouter. Me mettre sérieusement à la course à pied, m’acheter une paire de skis de fond et cesser d’aller aussi souvent au restaurant les midis.

Il aura donc fallu que je laisse le vélo pour y revenir meilleur que jamais.

Moi qui toussotait, râlait et pratiquait la descente parce que je honnissais les montées, me voilà qui ne prend pas même une gondole de temps en temps, comme s’il me fallait désormais payer de mon sang et de mes muscles pour mériter le loisir de descendre une « Backside » ou la fin d’une « Tac Tac Tac » à train d’enfer.

Mais si les dimanches fiévreux où il me fallait gober l’habituel trio de pilules du lendemain (Zantac, Tylénol, Gravol) pour me remettre du samedi soir ne me manquent guère, je conserve une certaine nostalgie de cette époque « garage » au cours de laquelle j’étais peut-être un éternel dernier en haut de la montagne, mais parmi les plus heureux d’y être.

C’est là que j’ai vécu ma première renaissance, mon retour sur un vélo que j’avais, pendant mes années de débauche les plus intenses, relégué aux oubliettes. C’est là que j’ai renoué avec la dimension métaphysique du vélo : ce sentiment de liberté et d’ultime puissance dans les sections que l’on maîtrise, puis celui de profonde humilité dans les parcours dantesques réservés aux initiés. Je pouvais enfin percevoir toute la dimension spirituelle de ce sport, aussi mince soit-elle aux yeux des néophytes. Je saisissais qu’entre les données biologiques, mécaniques et physiques, existe une dimension non-scientifique, une dynamique de l’âme qui permet de s’élever au delà des trivialités du quotidien.

Cette époque fut donc celle de l’illumination en quelques sorte.

En me souvenant de cette image de moi et mes chums, entassés dans la van, les yeux vitreux, couverts de cette boue, abrutis par la chaleur; en regardant cette carte-postale mentale de l’arrivée à la maison, du barbecue que nous organisions presque tous les dimanche soirs, nos copines exaspérées de nous entendre évoquer nos meilleurs et pires moments de la journée, je me souviens que nous étions crissement beaux.

Une beauté qui venait de cette manière que nous avions d’envisager le vélo qui n’avait cependant rien à voir avec celle de coureurs qui vont de compète en compète.

Pas meilleure, pas pire. Seulement une passion pure et sans ambages pour un sport qui nous permettait de nous élever au dessus du commun des « normaux » pendant quelques instants. Rien de compétitif, juste un truc qui nous donnait l’illusion d’être immortels, et qui est tout autre que ce sentiment d’oubli de soi que l’on ressent ivre mort, à trois heures moins quart, affalé à un bar.

Au contraire, il s’agit d’une ultra-conscience de soi.

Aussi, bien que je me prépare aujourd’hui à courir un demi-marathon, que je peux désormais suivre de très bons cyclistes de cross dans des sorties qui vont au delà des trois heures et même si je me couche désormais (enfin, presque toujours) de bonne heure en prévision d’une sortie, je n’ai rien oublié de ce sentiment merveilleux.

Il guide encore chacune de mes sorties. Chacun de mes entraînements.

Tout en m’approchant d’un peu plus près de l’athlète et en m’éloignant lentement du dilettante, je suis toujours le même, et mes potes aussi.

Je n’ai rien perdu de cette passion qui ne peut tristement qu’exploser ponctuellement, qui a fait de nous d’anonymes, mais ô combien heureux héros du dimanche.

DAVID DESJARDINS