Dans ce savoureux résumé de l’Enduro des Cœurs Vaillants, Pierre Gendron est aux prises avec les dilemmes classiques du raideur face à la logistique, l’habillement, l’équipement ou les lignes à prendre dans les flaques de boue…
Les photos proviennent du site web de l’Enduro des coeurs vaillants. Photographe: Jean-Claude Bélanger, photographe professionnel en aeronautique
Dilemmes, par Pierre Gendron
Depuis des années Paul Bernier du club les Cœurs Vaillants m’invite à son enduro qu’il fait sur une base militaire au pied du Mont St Bruno. À chaque année, une activité de l’Association régionale se déroule en même temps que son enduro et je dois décliner l’invitation.
Mais en 2005, la chose devenait possible et avant que Paul (alias Kori) ne me harcèle et à la limite ne me culpabilise, j’ai pris les devants et l’ai informé de ma joie de pouvoir enfin participer à son événement. Mon ami Solo (photo ci-après) m’ayant déjà vanté les mérites de l’organisation de l’événement.
À la lecture de son avis de course, j’avais le choix entre partir de Québec «à la barre du jour» samedi matin pour arriver à temps pour l’inscription et la course ou partir vendredi fin de journée et faire une petite rencontre familiale dans la Métropole, avec risque évidemment de débordements non propices à une épreuve sportive d’endurance le lendemain.
Le choix a été facile, j’ai opté pour la famille le débordement potentiel et la course le lendemain; on n’a qu’une seule vie à vivre.
J’enfourne mon Cake 1 dans la Windstar, contracte une deuxième hypothèque pour faire le plein d’essence, écoute le petit nouveau à la circulation à Radio Canada qui me semble jouir du fait que tout est bloqué ce vendredi après-midi à 16:00 heures.
Je prends une série de petites rues et me retrouve sur Henri IV pour une grosse demi-heure (2 km). Je suis sur la 20 à 16h45.
Le parcours se fait bien, je roule 110 km/h au max (économie d’essence et bonne musique) et je suis étourdi par le nombre de véhicules et de camions remorques qui me dépassent. Daran (qui a perdu ses chaises) et Filter titillent mes oreilles et mon imaginaire.
La pluie se met à tomber quand j’arrive à St Bruno pour y réaliser mon inscription.
Ayant déjà fait des courses dans cette région (les plus vieux se souviennent des courses de Mc Masterville?), je sais que la glaise y est omniprésente et que ça va patiner le lendemain.
Accueil amical, durée de l’attente juste assez chouette pour serrer des mains et s’informer des derniers développements. On me remet ma plaque, une Equibar aux bleuets une belle bouteille pleine de jus de raisin Trek Nitro (je songe déjà au jus de raisin vieilli qui délectera mes papilles dans l’heure qui vient.).
Je rencontre des cyclistes qui arrivent de faire le parcours ou une partie de celui-ci et tous le trouvent l’fun. Vérité ou conditionnement mental positif face à ce qu’ils savent devoir vivre le lendemain?
Je salue tout le monde et me retrouve quelque temps plus tard en famille devant une bonne table. Le coucher se fait tard et par conséquent le lever est trop tôt. Déjeuner à cette heure et juste avant un raid est difficile, on a beau en avoir fait beaucoup dans sa vie, c’est toujours stressant. C’est en fait en me dirigeant vers le lieu de course que je bois toute ma Nitro et mange ma Equibar. Le bacon-saucisse-café sera pour plus tard.
La météo nous parle d’Ophélia et de sa queue qui nous affectera.
Arrivé sur le site on me fait stationner sur le gazon malgré une affiche qui l’interdise, juste à côté des tandemistes Jacqueline et Marc .
Le rituel de préparation s’amorce; il est 8:30, la course débute dans la demi-heure.
- Mon Lifa, je le mets ou pas?
- Je m’apporte une veste de pluie ou pas?
- J’ai oublié de mettre de l’eau dans mon Camelbak; en fait l’avais-je nettoyé à la fin de mon dernier raid (le Jean Davignon)? Il porte encore des traces de la terre d’East Hereford .Mais je le sens , l’odeur est neutre et ça me rassure.
- Quels outils emporter?
- Je n’ai pas d’huile à chaîne et je suis sûr que ça va grincer après 30 k, mais on me dit qu’il y a des bananes aux ravis (à ce raid on dit ravitos),une banane sur la chaîne qui grince ça peut faire la job pareil.
- Je mets dans ma bouteille un produit énergisant reçu à Hull comme échantillon. C’est rose, ça se dissout mal mais ce n’est pas méchant au goût.
- Est-ce que j’ouvre à moitié mes sachets de power gel tout de suite ou j’attends en course et serai alors aux prises avec deux mains complètement engourdies et insensibles (des tunnels carpiens , paraît que ça se débouche).
- Ma poignée de gauche glisse sur mon guidon, faudra être attentif
- Après ma généreuse application de pâte d’Ihl, je remarque l’absence de Kleenex dans le camion, mes bas font de la suppléance
- Mes clefs d’autos dans le cou ou dans ma petite poche de Camelbak?
- Je vérifie si ma chambre à air de secours n’est pas en contact avec des objets tranchants.
- Je mets mes couvre-chaussures et me rends en moulinant à la ligne de départ pour l’appel des coureurs.
- Une chance que j’avais mis mes gants dans ma poche arrière, j’allais partir sans eux.
- Deux pipis (dont un nerveux) et je suis prêt.
- J’enlève mon Lifa
La commissaire-pédagogue éternise le processus d’appel des coureurs et je me sens moins coupable de ne pas m’être échauffé avant, cela aurait été inutile, compte tenu de la longueur de la durée des directives, conseils et petites facéties dites avant le si-attendu «allez-y» du départ.
Et ça part vite ou moins selon les expériences ou taux d’anxiété de chacun.
On roule sur du gravier, en légère montée; suit une série de «up and down» garnis de gros cailloux (il y a déjà des participants qui sont à réparer une crevaison — ils ont dû tomber dans le piège de la légende urbaine de dégonfler les pneus pour mieux « flotter » sur la boue—dans un Raid dont on ne connaît pas le parcours, pas de chance à prendre on gonfle dur et la suspension s’assure dans les sections qui brassent que nos plombages ne changent pas de place pendant le parcours).
Avant d’entrer dans le champ de foin se trouve une section de parcours à revêtement de savon. Le vélo exerce sa pleine liberté de direction, le cycliste réagit seulement. D’ailleurs Jacqueline et Marc (le couple en tandem) se relevaient de leur chute avec un sourire rassurant.
La séquence champs de foin et sentiers de glaise se chargeait de bien fixer aux pneus cet amalgame terre et herbe. Le pneu arrière de celui qui me précéde ressemblait à un gros pneu de dragster. Malheur aux vélos avec des V-brakes, ça me semblait vouloir bloquer ou du moins ralentir le passage de la roue .
Lors du premier tour, c’est toujours l’inconnu face aux flaques d’eau. Certaines sont profondes sur les bords et d’autres le sont dans le centre. Lors de ma première flaque mon «guess» s’est avéré mauvais: première chute sans gravité. Celui qui me suivait n’a pas fait la même gaffe et a rigolé en me voyant sans blessure
J’ai encore les pieds secs, bien au chaud sous mes couvre-chaussures. Mon rythme cardiaque tombe en mode diesel, le tempo s’installe, je suis prêt pour la «grosse ouvrage»
Je zigzague avec délectation dans les sections boisées et dont la surface est bien compacte. Je suis un peu triste de voir que dans la section «des 4 chaises», personne n’est témoin de mon bonheur.
À un endroit, un bénévole a plus peur que nous des descentes à venir et nous implore de ralentir.
Le parcours change de morphologie de temps en temps, descentes et montées abruptes s’enchaînent mais ne peuvent être totalement franchies sur le vélo.. et ce n’est pas parce qu’on n’essaie pas. C’est très rigolo de se «donner un swing» pour monter l’autre face et juste vers la fin de voir sa roue arrière patiner.
Au hasard de tournants on tombe sur des spectateurs qui nous encouragent, ça fait chaud au cœur. D’ailleurs ils ont l’air plus incommodés par le mauvais temps que nous.
Je remarque que le parcours traverse souvent un champ de tir tout gazonné.
Dans la dernière section dite de la «vaisselle cassée», je réalise que le Raid Enduro répond bien à cette tradition des raids. Chaque raid doit offrir une section, ou une difficulté qui fera la joie des conversations post-raids; le fameux : «te souviens-tu de…». Ces difficultés habituellement placées vers la fin font que lorsqu’on en parle, on a le sentiment d’en avoir bavé un bon coup et d’avoir survécu. C’est probablement la grosse raison pourquoi des êtres sains d’esprit payent le gros prix pour aller souffrir sur un ou deux jours quelque part dans la forêt. Ces obstacles créent une connivence entre ceux qui les ont vaincus et sont souvent un signe de ralliement plus tard. Qui ne s’est pas fait ch*&?% dans des sentiers boueux, dans une côte de malade, sous un soleil qui nous bronze le crâne même sous le casque et nous laisse sur la tête un bronzage gaufré, ou sous une pluie, ou à la merci de vents de face qui rendent agressifs. Qui n’a pas senti la chaleur, la joie intérieure de le raconter plus tard.
La section des « vaisselles cassées » met notre patience à rude épreuve : très difficile d’y établir un tempo et de rester sur le vélo. On démonte, on pousse, on remonte, ça ne clippe plus et le pied glisse sur la pédale. On remet le pied à terre pour un autre 5 mètres. Ma compagne de premier tour m’encourage à la patience, elle a raison, mais je hais deux fois cette section.
Le premier (de deux) tour se termine mal; sur le pont nous menant vers l’aire de départ, je remarque un grillage anti-dérapant posé sur les planches mouillées, mais pour mon malheur, le grillage ne fait pas toute la longueur; je glisse en sortant du pont et me fait de belles «graffignes». Un peu de sang se mêle à la boue. J’ai l’air «tuff» en passant devant la table des commissaires pour amorcer mon deuxième tour.
Mon deuxième tour, se fait plus en solitaire, je dépasse quelques cyclistes qui sont à genoux à côté de leur vélo et qui officient à une cérémonie de réparation de chaîne ou de crevaison. Le tout se fait sous la nef verte de cette belle forêt. Mais l’église a un toit qui coule!
Le temps et les mètres défilent sous mes pneus. Je ne sais pas les distances ni le temps pris. Je n’aime pas avoir de cyclo-mètre dans les raids. Ce n’est pas parce que je veux pas savoir ce que j’ai fait et ce qu’il me reste à faire…je veux le savoir. Mais sans instrument, j’occupe mon esprit à calculer, évaluer, et prédire. Un raid c’est long et il faut se trouver des petites mantras surtout quand arrive cette fameuse période du «Qu’est ce que je fais ici, par un temps pareil? Et en plus j’ai payé pour ça!!!»
Lors d’un ravito, je rencontre Hugo Bardou qui m’avoue s’être trompé de direction (et il a gagné malgré tout ce raid—ça doit être parce qu’il pilote un Wuuu de sa confection).
Je roule quelques kilos avec un sympathique cycliste pas trop parlant mais connaisseur . Il prend les bonnes lignes, respecte le fait que tu puisses le dépasser lorsqu’il a de la difficulté dans des sections plus «hard» et s’attend à juste titre que tu lui rendes la pareille.
Une fois, dans la seule partie descendante rapide, je prends la mauvaise ligne et ma roue tombe dans une profonde ornière, impossible de corriger la direction et je me plante d’aplomb, ma tête heureusement casquée frappe très fort un arbre. Deux jeunes spectatrices ou bénévoles viennent immédiatement me voir et sont soulagées de voir que je suis capable de leur dire mon nom. Je suis par contre incapable de leur demander leur numéro de téléphone pour rencontres ultérieures.
Je termine les 4 derniers kilos avec un Coeur Vaillant qui a évalué qu’il serait plus avantageux pour lui de finir le raid à la course plutôt que de prendre le temps de réparer sa crevaison. Comme cette dernière partie du raid se trouve dans le secteur maudit de la «vaisselle cassée» le piéton devance régulièrement le cycliste. Heureusement que les deux derniers kilomètres sont roulables! C’eût été une honte de finir derrière un coureur à pied!
Quelle joie de passer sur le bon côté de l’affiche «tour/fin» et de terminer sous les applaudissements des quelques braves restés sur place.
Un gentil bénévole enlève la chape de terre de mon vélo, et je fais de même pour mes pieds et jambes. Je mentirais en disant que l’idée d’un bon bain chaud ne m’a pas traversé l’esprit à ce moment précis.
Retour à mon Windstar pour y enlever tout mon costume de boue et mettre des vêtements chauds.
La Sleeman que Paul m’avait annoncée sur la ligne de départ est au rendez-vous et sa vie fut de courte durée. C’est sa jumelle qui s’est jointe aux deux hot dogs, pour le plus grand plaisir de mon ventre..
Pour la cérémonie des médailles , seul Noé l’aurait appréciée. Il pleuvait des cordes et l’équipe organisatrice a fait de son mieux pour assurer un certain décorum.
Chacun s’en est ensuite retourné à son véhicule pour le retour.
Nous étions nombreux à apprécier ces gentils messieurs au volant de leur petits véhicules qui nous sortaient du stationnement dans lesquels nous nous étions embourbés jusqu’à l’essieu.
Lent-Dur-Eau 2005 nous a fait vivre une belle aventure de plein air… juste à côté de la 20.
Merci à toute l’équipe.
On se revoit en 2006? Le temps ne peut pas être pire.
Pierre Gendron