Merci à Pierre qui nous décrit sa vision du vélo en automne.
Lorsque le sol gèle la nuit et craque le lendemain sous nos pneus cramponnés, lorsque le sol se couvre de feuilles toutes aussi colorées qu’hypocrites, lorsque l’air prend une texture qui transporte les odeurs mais qui nous donne la petite toux sèche d’après randonnée, lorsque le vélo arrive au bout de ses padsde frein et que notre cuissard commence à être mince autour du chamois, c’est alors le temps des railles unplugged. Sortent les collants longs, le passe-montagne sous le casque, les gants chauds et la bouteille qui finit pas geler au goulot.
Depuis quelques automnes, mes amis de vélo, qui sont devenus en fait mes amis tout court, me font signe; et comme ça, un samedi ou un dimanche, en fin de matinée, le petit peloton part de la résidence de celui qui demeure le plus près des pistes et rejoint le réseau qui s’offre encore gratuitement à la pratique du VM.
La montée vers le bois se fait doucement, car comme la forme y est, le placotage ne souffre pas trop de l’apnée de la conversation et le ton est enjoué. Cette année un des membres, fier de son Garmin , nous a fait participer à la composition d’une banque de parcours. Sa mise en mémoire sur Google Earth donnait un sens nouveau à notre petite raille, on se prenait un peu pour des coureurs des bois en train de baliser le territoire.
Une fois arrivés dans les sentiers, chacun y circule à sa manière, les lignes sont différents selon les préférences et surtout les habiletés de chacun, les uns moulinent, d’autres tirent grand; les uns contournent, d’autres jumpent; les sentiers techniques donnent lieu à d’amicaux défis d’agileté; la flaque bien cachée sous les feuilles mouille les souliers du premier de tête au grand rire du reste du peloton; les descentes sont prises à des vitesses variables selon le niveau de crainte de chacun («on travaille tous lundi matin»), le trait caractéristique de tout ça c’est que chacun ne tente pas de «planter» l’autre, on s’attend rendu en haut ou en bas de la côte; il y a aussi les pauses barre tendre et gatorade qui tendent à être longues car ponctuées de tellement de remarques drôles, d’anecdotes, de jeux de mots et blagues et… d’absence de moustiques; en fait seul le petit frisson du Lifa humide décide le groupe à reprendre les sentiers.
Ces sorties de fin de saison sont appréciées d’abord parce qu’elles permettent de rouler avec des amis que je vois moins en saison car ils ne font pas le circuit de courses et ensuite parce que, lors de ces sorties automnales, je fais du vélo de montagne pour le plaisir pur.
Ceci par opposition à ce qui se passe en saison et pré-saison.
À l’automne, terminées sont les sessions de spinning qui brutalisent mon corps et mes oreilles; finies les sessions d’intervalles côtes/gros braquets sur la montée du Calvaire ou sur la route des Équerres ou sur les 7 côtes urbaines; finies les sorties tête-dans-le-guidon à ne même pas savoir réellement où on a passé; finie surtout cette période d’analyse de la dernière course en préparation à la suivante, finie cette tension de la performance.
Évidemment on n’a qu’à ne pas faire de course et tout redeviendrait normal.
Mais non, cela nous priverait de l’autre volet du vélo de montagne, son volet universel: le sport de compétition, ce volet que tous les sports nous font vivre selon leurs spécificités.
Il y a dans le vélo de montagne ce côté «chums dans le bois» si vivifiant et c’est ce volet que l’automne me ramène. La forêt nous éloigne du trafic urbain avec lequel chacun vit durant la semaine; le risque inhérent au sport donne ce petit challenge, cette petite insécurité si valorisante quand elle est vaincue. L’impair mécanique rassemble les participants autour du problème et chacun y va qui de son outil, qui de son expertise; voilà qui est très formateur et unifiant. La brutalité des parcours roulés très rapidement ou des descentes plus ou moins casse-cous répondent à ce besoin de danger que nous avons tous dans nos gênes. Affronter une pluie glaciale soudaine n’a pas le même effet lorsqu’on est en gang, cela fait passer la chose de statut de cauchemar à celui de souvenir qui avec le temps devient légende urbaine surtout si la pluie se transforme en neige. Je me souviens du défi lancé il y a quelques années dans la région , à savoir celui qui faisait la «raille» la plus tardive de la saison. Tu t’en souviens Bruno? C’était à l’époque où il y avait de la neige avant Noël.
Comme des petits gars sur nos premiers vélos, nous explorons les lieux et y découvrons des choses insoupçonnées: un bâtiment délabré et une tour de transmission abandonnée; des chalets à architecture standard qu’un revêtement rococo rend hallucinatoires; des installations northshore «secrètes» qui défient les lois de la physique… et le code du bâtiment; des rus rendus encore plus petits par leurs berges glacées; et si on est chanceux (avec un vent de face) un élégant chevreuil qui en l’espace d’un clin d’œil devient une ombre à queue blanche; et que dire des vues panoramiques que les hauteurs de la région permettent à nos yeux. Elles sont d’autant plus belles qu’elles se méritent à coups de pédales.
C’est finalement saoul d’air frais, les pieds humides, les doigts gelés et les bidons vides ou givrés que le petit groupe revient à son point de départ et prend la petite bière récompense, les pieds bien au chaud dans des bas secs
«À samedi prochain s’il ne neige pas, et dans ce cas on prépare ses skis de roche pour la première sortie à la Forêt» .
Et chacun s’en retourne regarnir sa banque de air lousse.
On lavera le vélo demain ou cet hiver.