Une aventure du Lt Blueberry: Le Raid infernal

Voici un autre récit épique de raid, tel que raconté par le Lieutenant Blueberry, alias Jess Tremblay, coureur senior expert pour le club cycliste Subway. Il nous raconte son Raid Trans-Gaspésien 2002, parsemé de quelques péripéties, dont de la neige dans les sentiers en juillet! De quoi raviver vos souvenirs ou alimenter vos phantasmes de Raids.

Le Raid Trans-gaspésien 2001

Par Jess TremblayRien de tel qu’une bonne vieille grippe carabinée doublée d’une douce petite fièvre pour remettre les pendules à l’heure. En effet, malgré l’énorme quantité d’heures investies en entraînement, le soin maniaque avec lequel nous choisissons les aliments ingurgités et nos heures de repos, notre corps que nous pensons pourtant si puissant est à la merci du premier virus un tant soit peu inquisiteur. L’occasion est parfaite à ce moment là pour une bonne leçon d’humilité.

Ceci dit, quoi de mieux à faire, alors que mon nez coule comme un vieux radiateur percé et que tout mon être frissonne sous les coups de butoir de ces microbes maudits, que de prendre le clavier et de laisser mes futurs arthritiques de doigts exprimer une histoire qui meublera quelques-unes de ces mornes soirées d’hivers et avec laquelle je pourrai divertir mes petits-enfants pour des années à venir.
Je fouille dans mon esprit brumeux afin de trouver une anecdote digne de mention. Et pourquoi pas une de ces compétitions de vélo de montagne? Pour nous coureurs, il peut s’agir d’une course parmi tant d’autre, une compétition rapidement oubliée dans le tumulte d’un calendrier estival passablement chargé. Cependant, pour le profane en la matière, voilà l’occasion de se tremper dans l’atmosphère particulière qui règne lors de ces fameuses courses d’endurance. Comment ca se passe là dedans? Comment se préparent-ils? Que voient ceux qui roulent dans le peloton de tête? Est-ce aussi difficile qu’on le dit?
Le petit texte qui suit répondra peut-être a quelques une de ces questions, ou tout le moins vous divertira quelques minutes. Ceux qui croient que les mountain bikers sont totalement cinglés et les autres qui vouent une certaine admiration à ces machines bien huilées vont probablement être confortés dans leur position.
Il faut tout d’abord que vous sachiez une chose, l’auteur de ce texte a plusieurs traits qui le différencient des autres coureurs. L’un en particulier est une surdité quasi totale survenue à la suite d’une commotion cérébrale il y a quelques années. Si je dis cela ce n’est point pour attirer la sympathie mais bien pour aider le lecteur à se mettre dans ma peau et découvrir la course sous une nouvelle optique.

JOUR 1

Que la croisière s’amuse!6h00 am :
Brrr!!… Brr!!…Brr!!… Brr!!…. Mon réveil vibrant se met à sonner et à envoyer des secousses sur mon matelas. Je regarde l’affichage à cristaux liquide d’un œil torve tandis que mon esprit quelque peu rébarbatif à l’idée de quitter les doux et sensuels bras de Morphée, met plusieurs instants pour lire la signification de ces chiffres.
Ah oui! ça me revient maintenant, les bagages au pied du lit, l’heure si matinale, je dois aller prendre la bus nolisée par le club Québec sportif a 9 h.
Tout en avalant un déjeuner frugal composé de céréales vector, pain de seigle avec bananes et jus d’orange, je finalise l’empaquetage de dernière minute, prend une bonne douche, me rase et voilà! Je suis paré pour le départ. J’arrête chez Joanne en chemin pour voir si mes deux coéquipiers sont prêts et comme d’habitude, Éric son copain est encore en retard dans les préparatifs. Certaines choses ne changeront jamais. Heureusement que Jo est la pour veiller au grain et faire accélérer les choses.
À 8h30 nous arrivons dans le parking déjà bondé. Il y a un camion qui va monter les vélos ainsi que les plus gros bagages. Nous transbordons notre stock dûment identifié et c’est avec délice que je m’assieds dans le siège près de la fenêtre, tout juste devant l’une des petites T.V. du bord.
Le conducteur démarre le puissant moteur diesel et son vrombissement me permet de m’assoupir pour quelques minutes. Je jette un coup d’œil aux passagers et je remarque une blonde jeune femme du surnom d’Indy. Ce qui me frappe en particulier chez elle c’est l’extraordinaire endurance de ses muscles maxillaires. En effet, à chaque fois que mes yeux regardent dans sa direction, elle est en train de parler, c’est immanquable. Dans mon fort intérieur je me dis que si c’est le même type de fibres musculaires qu’elle a dans les jambes, elle va tous nous torcher comme des malpropres demain pendant la course.

Après des heures et des heures d’une route qui semble ne jamais en finir, nous apercevons enfin les éoliennes de Cap-chat. Sitôt passé le village nous bifurquons vers la droite pour pénétrer dans les entrailles des majestueuses montagnes appalachiennes que nous voyons maintenant clairement devant. Je regarde de temps à autre les nuages qui s’amoncellent et je n’aime guère l’idée de débarquer sous un ciel aussi peu accueillant. Enfin nous voilà arrivé au majestueux gîte du Mont Albert. La splendeur de cet édifice est frappante dans un endroit aussi éloigné de la civilisation. L’autobus s’arrête dans un stationnement un peu en retrait et c’est sous une pluie battante que nous posons les pieds en sol gaspésien. Rapidement nous sortons les bagages de la soute pour essayer tant bien que mal de trouver un abri et garder les choses au sec. Je jette un coup d’œil à Éric et le regard qu’il me lance me confirme sa bonne humeur. Malgré les cheveux trempés et l’eau qui dégouline sur notre visage, rien ne saurait altérer la joie d’être ici parmi tous ces amis qui partagent notre passion.
Après plusieurs minutes, la pluie se calme et nous levons l’ancre pour aller chercher nos dossards. Alors que nous faisons la file d’attente pour l’inscription, plusieurs connaissances s’amènent et c’est avec joie que nous renouons avec eux. Voilà un des grands plaisirs de faire un raid, revoir des gens d’une trempe à part, des gens que nous voyons peu mais pour qui notre amitié n’a d’égal que l’acharnement avec lequel nous nous battons pour les médailles. Pour certains l’attente se fait longue et la majorité ont déclaré une guerre ouverte aux moustiques. J’essaie de ne point prêter attention à la fatigante morsure des ces insectes. Je me surprends malgré tout à me demander s’il va falloir que je prenne un supplément de fer pour compenser au butin emporté par ces petites bestioles.
Après avoir obtenu notre plaque et la carte privilège, nous quittons tout ce beau monde pour aller monter les tentes sur le terrain de camping. Parlant de camping, il faut voir tous ces gens qui ont loué une chambre au manoir et qui appellent ca faire un raid à la dure. Tant qu’a moi j’aime mieux trouver un bon coin tranquille pour monter ma tente et dormir à même le sol inégal avec en tout et pour tout un slip pour rester au chaud et une paire de pantalons pliés comme oreiller.

JOUR 2

La CascapédiaC’est dans un léger brouillard que nous démontons les tentes et préparons un petit déjeuner. Le ciel est plus ou moins dégagé et nous avons su la veille qu’ils annonçaient de la pluie pour aujourd’hui. En chemin pour le départ je vois certaines personnes maugréer contre la température. Il y en a même qui jonglent avec l’idée de rebrousser chemin pour la douce chaleur de leur foyer. Dans mon fort intérieur je ne peux m’empêcher d’espérer une bonne pluie pour le départ afin de départager les hommes des enfants.
Bien que menaçants, les nuages au-dessus de nous ne pleurent pas encore. Aussitôt arrivé sur site de départ la grisaille du matin fait place à une excitation grandissante au fur et à mesure que s’égrènent les minutes avant le premier coup de semonce. C’est toute une beauté que de voir cet amalgame de coureuses et coureurs qui s’affairent tantôt à remplir leur camelback, tantôt à fouiller comme des déchaînés parmi leurs bagages pour trouver une paire de lunette, un bidon ou parfois même à changer les pneus au dernier instant.
Je m’assieds sur un socle de béton et je prends quelques minutes pour savourer le spectacle. On dirait une ruche sur laquelle un puissant seigneur aurait eu l’idée d’y foutre un bon coup de pied. Je ferme mon appareil auditif et je clos mes yeux. Le silence le plus total m’envahis. Je suis maintenant le petit prince, seul sur sa planète, humant le parfum de sa fleur dans la quiétude du matin. Malgré le branle-bas de combat environnant, je n’ai qu’a fermer les yeux pour me retrouver dans un oasis de paix et de tranquillité.
Un coup d’œil au monde extérieur me rappelle que le premier départ est imminent. Soigneusement alignés comme des conserves au supermarché, le premier groupe qui comprend les ‘vieux’ et les ‘moins bons’ comme certains les appellent, est sur le point de décoller. Rapidement je m’en vais au devant pour les voir démarrer et prendre quelques photos. Les voilà qui partent à toute allure … Let’s go boys!!!

Vingt minutes s’écoulent avant que le deuxième pack ne s’élance. Dans ce groupe-ci nous retrouvons les seniors sports, les filles expertes et élites, bref quelque chose de plus consistant si on peut dire. Jo est au beau milieu d’un tas de filles en maillots multicolores et j’ai l’impression qu’elle va faire une course du tonnerre. C’est qu’elle est en forme la gosse! Je regarde tout ce tas de coureurs et je me demande combien de temps nous prendrons avant de les rattraper. Le départ est sur le point d’être donné encore une fois et je vois la commissaire en chef hurler les dernières recommandations avec son porte-voix. Comme je n’entends rien, je l’imagine en train de crier un tas d’insanités à ces pauvres vélocipèdes éberlués, tel un soldat allemand hurlant des ordres à de chétifs prisonniers juifs! Cette pensée me fait sourire et je m’en retourne à l’arrière alors que la poussière du deuxième départ retombe doucement. Dans quelques 20 minutes ça va être à nous et la rigolade va se terminer. Juste à penser à cela et je me sens la patate qui se met à accélérer. Une dernière révision des bagages avant l’heure ‘H’ s’impose; camelback OK, bidons OK, vélo OK, vêtements OK, tout me semble en ordre et paré au lancement.
Je m’assieds sur la pelouse avec le reste du groupe élite, certains s’étirent alors que d’autres s’échauffent dans une petite côte pour habituer leur organisme à l’effort. Je jette un coup d’œil sur mes pneus et j’en vérifie la pression. J’ai posé des tubeless (pneus sans tube à l’intérieur) et scalpé de tous ses crampons la partie centrale du pneu jusqu’au flanc afin de ne pas subir de friction lors des chemins de gravier compacté. Cependant, l’épaisseur accrue des pneus tubeless ne permet pas de faire n’importe quoi impunément comme je m’en rendrai compte plus tard.
Bon! Fini de rire maintenant, c’est l’appel des coureurs sur la ligne de départ. Nous voilà tous enlignés, la roue avant collée sur la banderole. Alors que la nervosité et le stress sont à son paroxysme, nous écoutons les puissantes sonorités qui sont crachés du porte-voix.

UNE MINUTE!! …. ATTENTION!! …….PARTEZ!!!

Oh yes! On y va enfin!! Voilà qu’on grimpe à fond de train une petite pente qui nous amène dans un large chemin forestier en gravier. Sitôt dans le chemin se forme un peloton de 3 rangés de coureurs. Le rythme est modéré et on voit que tout le monde veut se réchauffer convenablement avant de pousser. A tour de rôle les relais sont pris à l’avant afin de maintenir une vitesse respectable de 38 km/h. Je m’efforce de rester le plus possible à l’avant pour parer à une éventuelle attaque. Plus de 30 minutes s’écoulent ainsi et nous commençons à rattraper certains retardataires dans les faux plats. A mes côtés il y a le Belge Jurgen Van Dan Driessche ainsi que notre figure de proue, Gilles Morneau lui-même. Je vois au loin une montée qui approche rapidement et la cadence commence à augmenter sensiblement. Un coureur derrière moi donne quelques petites tapes sur l’arrière-train de Jurgen afin de l’avertir qu’il va être temps de frapper. Je n’aime pas ça et je trouve ces tapes de fort mauvais augure puisqu’ils signifient hors de tout doute une souffrance accrue à très court terme.
Mes craintes s’avèrent fondés alors que nous atteignons la pente abrupte devant nous. Sans avertissement El Benito s’emballe au grand galop, rapidement suivi au petit trot par Morneau. Le reste du troupeau suit, comme des vaches enragées avec la bave dégoulinant le long de nos lèvres blafardes. Un affreux rictus de haine et de douleur déforme nos visages. Nous piochons sur les pédales tel des bagnards avec leur massue et c’est en un temps record que la pente est avalée par notre petit peloton. Nous roulons à une allure démentielle sur le bord du chemin, tout en évitant la gravelle du bas-coté autant que possible. Même a seulement 25km/h en montée, le drafting peut représenter un puissant allié et il importe de suivre la roue de l’autre le plus près possible. La sueur se fait envahissante sous mon casque et coule sans discontinuer. Je regarde avec appréhension l’affichage du rythme cardiaque sur mon polar alors que celui-ci ne cesse d’augmenter. Le petit cœur clignote de plus en plus vite tandis que les digits grimpent toujours. 175….. 180….185…190….. 195
Rendu à 195 bmp la cadence du groupe se stabilise enfin. Heureusement car l’effort requis à un point aussi élevé devient rapidement épuisant. Mes jambes sont devenues dures comme du béton et j’ai les poumons en feu. Mon cerveau est saturé par les signaux de douleurs lancé de toutes parts par cet organisme qui n’est pas conçu pour ce type d’usage. Il faut que je combatte le puissant désir de faire cesser cette intense torture physique. Je préfère ne pas penser que j’en ai encore pour plus de 3 heures et c’est avec une intense concentration que je regarde les poils incarnés qui parcourent les mollets de mon ennemi juré, Christian Ouellet.
Malgré tout, la course est agréable, il ne pleut pas encore et je n’ai pas trop de difficultés à suivre le rythme imposé par le Belge. Devant nous se dressent les majestueux monts Chic-chocs et la vue est tout simplement sublime. Nous quittons les chemins compactés pour entrer dans un sentier parsemé de pierres solidement ancrées dans le sol et dont seul une petite saillie pointe hors de terre. Le groupe zigzague à travers ce bouquet de pièges et nous prenons un peu de distance les uns des autres pour parer à toute chute ou bris mécanique.
Tout a coup, je sens l’avant de mon vélo qui commence à louvoyer sérieusement. Ce mouvement détestable et honni par les cyclistes de montagne ne signifie qu’une chose; une crevaison.
Je me mets hors ligne et freine brusquement afin d’effectuer les réparations d’urgence. Rapidement j’enlève la roue et me prépare à y insérer un tube pour sceller le pneu. Voilà maintenant qu’il fait son récalcitrant et refuse de sortir. Moi qui n’ai pas été foutu d’apporter des extracteurs, je suis dans de beaux draps. Qu’a cela ne tienne, je démonte le quick-release et me sert de la manette pour extraire le pneu. Cet arrêt forcé fait monter ma température car je n’ai plus de vent pour me rafraîchir. La forte impression d’avoir débarqué dans un sauna détraqué m’étreint. Je suis en nage et j’ai les yeux embrouillés et piqués par la sueur dont le niveau de salinité est un peu trop élevé à mon goût. Je réussis finalement à poser le tube et je sors une bonbonne de 12 grammes de Co2 pour gonfler le pneu à la vitesse de l’éclair. Ce n’est pas suffisant, il m’en faut la moitié d’une deuxième. Heureusement que j’en ai apporté deux. Vite vite!! Je réinstalle la roue, remet le quick-release en place et serre bien le tout. J’enfourche le vélo, clipe les pédale et……
NON!!! AH NON!!! Merde ce n’est pas possible!!! La roue arrière a crevé elle aussi!! Putain de bordel de #$%&!!!
Les gars que nous avions laissés derrière nous me passent tous les uns après les autres en coup de vent et me rendent fou de rage. A grand renfort de vocabulaire liturgique j’ôte la roue arrière et recommence tout le processus. J’ai une fixation sur l’avance que le peloton de tête prend sur moi et je me sens comme dans un de ces cauchemars lorsque le monstre nous court après et que nous nous sauvons à pas de tortue, comme embourbés dans des sables mouvants.
Au moment de gonfler le pneu, je m’aperçois qu’il ne me reste plus que la moitié d’une bonbonne et je n’ai pas apporté ma pompe manuelle. Erreur de débutant! Si une bonbonne complète n’aura pas suffit où crois-tu aller avec seulement la moitié d’une??
Je n’ai pourtant pas le choix et c’est avec un pneu arrière pratiquement vide que je repars à la poursuite du peloton. J’ai perdu une éternité à réparer. Le dernier coureur m’a passé depuis belle lurette et j’ai l’impression d’être un pauvre zèbre malade laissé pour compte à l’arrière d’un troupeau pourchassé par des carnassiers. Le temps perdu n’aura finalement servi qu’à accroître ma fureur. Je regarde mon vélo et lui dis :

– Saleté de bécane, tu es mieux de te rendre jusqu’au bout ou bien tu vas finir tes jours toute seule ici oubliée de tous dans le fin fond d’un ravin!!

Cette fois-ci je ne me préoccupe plus du tout de mon rythme cardiaque. J’appuie sur les pédales comme un déchaîné sans ressentir rien d’autre qu’une irrésistible envie d’aller plus vite, encore plus vite. Allez pousse nom d’un chien, tu as plus de 15 minutes de retard ce n’est pas le temps de dormir, pousse, POUSSE!!!
Les résultats se font rapidement sentir et après quelques minutes j’ai rejoint les coureurs du premier et deuxième départ. Éviter tous ces gens plus ou moins habitués aux compétitions n’est pas chose aisée. Il faut remonter au moins 200 de ces coureurs et certains réagissent de façon tout à fait inattendue. Heureusement rien de fâcheux n’arrive. Les roches et autres obstacles qui parsèment le sentier tiennent mon taux d’adrénaline plutôt élevé. Chaque ‘clang’ un peu trop fort créé par les roues lorsqu’elles font contact avec quelque chose de dur m’arrachent des sueurs froides et font rétrécir mes testicouilles comme deux raisins secs, gulp! Les secondes suivantes s’écoulent dans la crainte d’une autre crevaison et l’attente est insupportable, crèvera? crèvera pas? Ouf! Non ça tient.
Après plus d’une heure d’efforts, j’aperçois certains coureurs du peloton de tête qui ont décroché. Je me mets à la hauteur de Louis Pérusse, le champion québécois cette année.
Me voyant il dit :

Te voilà toi? Où étais-tu passé? Ca fait un bout que je ne te voyais plus!
– J’ai fait deux flats coups sur coup, est-ce que les coureurs de tête sont loin?
– Je ne sais pas j’ai décroché ça fait un bout.
– Okay, Tu viens avec moi? J’essaie de les rattraper.
– Oublie ça, je ne pousse pas plus.

Seul comme un beau diable dans l’eau bénite, je repars à la poursuite de l’échappée. Une pluie fine s’est mise à tomber et la moindre tentative de repos en drafting derrière quelqu’un est rapidement anéantie alors que sa roue arrière projette une multitude de gouttelettes pleines de poussière et de terre qui emplissent les yeux comme des poches de sables. J’aperçois un maillot de l’équipe Oryx devant moi. Je m’interroge de qui ca peut être. Éric Tourville? Non sûrement pas il n’était pas au départ. Bah!, Aucune importance il roule bien alors suivons le un peu. Le mec en question c’est Michel Bujold l’organisateur du raid lui-même. Je m’aperçois rapidement que ce gars a beaucoup de puissance sur le plat et j’essaie d’en tirer profit au maximum alors que mon pneu arrière dégonflé me ralentit terriblement. À chaque mouvement de pédale je rebondis comme si j’étais sur un vélo à double suspension avec l’amortisseur défoncé. Aux alentours du 80ieme kilomètre s’amène la gigantesque montagne que nous devons gravir avant l’arrivée. Cette monstrueuse protubérance est comme un coup de massue dans le front. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, nous rétrogradons les vitesses et débutons l’ascension. Après un certain temps mon compagnon de voyage ralentit passablement et j’en profite pour le larguer et pousser plus fort encore. Le regard fixé sur le sentier qui serpente toujours plus haut, je me demande sans cesse si je vais finir par arriver au sommet. Inconsciemment j’appuie sur le shifter pour rétrograder encore mais il n’y a rien à faire, je suis au bout de mes vitesses. Le sentier s’allonge pendant plus de 25 interminables minutes durant lesquelles j’ai la certitude que mon cœur va jaillir de ma poitrine et tomber sur le bord de la trail avant de rendre l’âme dans un dernier soubresaut. Pendant cette escalade, je rencontre plusieurs coureurs arrêtés pour se rafraîchir et reprendre des forces. Leur regard désabusé est tourné vers le sentier escarpé dont les lacets semblent ne pas avoir de fin. C’est avec pitié qu’ils me regardent passer, poussant force râlement et halètements à faire pâlir d’horreur le pneumologue le plus endurci.
Heureusement toute mauvaise chose a une fin et le sommet commence à poindre.
S’ensuit une succession de valons qui nous permet de les gravir à pleine vitesse et de prendre du repos lors des descentes pour grimper le suivant de plus belle. À ce moment précis j’ai une pensée pour les coureurs sur route, les ‘roadies’ comme on les appelle. Les pauvres sont contraints à rester sur le morne bitume et n’avoir pour toute copine qu’une monotone ligne de peinture. Tandis que nous, montagnards, avons tellement de défis divers à surmonter, de sentiers traîtres à apprivoiser et des paysages sauvages pour nous divertir. N’est-ce pas que nous sommes choyés?
La descente est tout simplement formidable et grisante. Les bénévoles ont enlevé pratiquement toutes les pierres qu’il y avait l’an passé. C’est donc par un dérapage contrôlé sur presque toute sa longueur que s’effectue ce jeu de trompe-la-mort.
Je roule seul depuis un sacré bout maintenant et je n’ai aucune idée de ma position. Les 10 derniers kilos sont à nouveau sur un chemin de gravier et je me couche sur mon guidon tel un roadie pour minimiser la résistance au vent et donner tout ce qu’il me reste dans le ventre. Après plus de 4hrs à pousser comme un possédé, je vois enfin le petit pont couvert de Saint-Edgar. Quel soulagement que de passer dessous et de voir la brillante banderole de l’arrivée. Allez! Un dernier effort pour gruger encore quelques secondes….. YEAH!!

JOUR 3

Promenade à BonaventureJe mets le nez hors de ma tente ce matin et un soleil radieux m’accueille en guise de bonjour. C’est avec les deux pieds dans la moite rosée du gazon que je scrute les environs comme dans un film qui tourne au ralenti avec le son fermé.
Les eaux de la petite rivière Cascapédia scintillent comme des milliers de diamants sous les doux rayons matinaux. Un petit vent timide s’amuse à chatouiller la cime des arbres et ces derniers répondent par un grand éclat de feuilles. Une forte odeur de bacon grillé que nos voisins sont en train de faire cuire avec des œufs et des rôties vient exciter mon odorat. Lentement les gens reviennent à la vie et plusieurs s’extirpent avec difficulté de leur couche afin d’étirer les muscles endoloris et de se préparer pour la seconde moitié du parcours.
Après un bon déjeuner, nous ramassons nos affaires et nous préparons pour le départ. Ma bécane encore endormie est confortablement pelotonnée contre le tronc d’un érable centenaire. Toute de noir vêtue avec de petites gouttes de condensation le long de son corps, elle aurait fière allure si ce n’était des deux pneus manquants dont je l’ai dépouillée et jetés aux ordures. Je passe un bon moment à essayer de trouver des pneus tubeless. Très peu de gens ont ce type de roues et parmi ceux qui en ont, encore plus rare sont ceux qui traînent des rechanges. Heureusement, un philanthrope du nom de Morneau me dépanne en me prêtant un roulant pour l’arrière et un semi-agressif pour l’avant.
Je suis allé voir mon temps et les 12 minutes derrière Christian me confèrent la deuxième place. Ce n’est pas si mal étant donné les petits pépins d’hier. Juste avant le départ celui-ci me dira qu’ayant roulé avec des gars forts pendant toute la course, il n’a eu qu’à se laisser drafter bien peinard a l’arrière du peloton de tête.

La séquence de départ est sensiblement la même qu’hier à la différence que parmi les deux premiers packs s’ajoute une catégorie de gens qui font le ‘petit’ raid. C’est à dire le même parcours que nous mais amputé de plusieurs montées.
Ouais, ça va en faire du monde à dépasser ça!

Voilà enfin notre tour, bons derniers comme toujours, nous partons à vitesse relax et c’est avec des YEEPEE!!, OH YEAH!! Et sifflements de toute sorte que nous repassons par le pont couvert, direction; le centre-ville de Bonnaventure.
Encore une fois les coureurs y vont molo en prenant bien le temps de s’échauffer. Ceux qui ont le plus confiance en eux ne se gênent pas pour aller à l’avant plus souvent qu’à leur tour. Quant à moi, l’effort fourni hier pour rattraper le peloton m’a laissé avec certaines raideurs dans les jambes et c’est avec prudence que j’envisage cette dernière étape. Pendant presque 45 minutes, nous roulons ainsi comme en promenade. À la différence qu’aucune diminution de vitesse n’est permise lors de petite montées.
Ici entre alors en jeu un des aspects plus subtils de la course cycliste; l’intimidation de l’adversaire. En effet il s’agit de rouler à un bon rythme tout en gardant la bouche fermée ou encore jaser avec le voisin tout comme si nous étions confortablement affalés dans le sofa un dimanche après-midi. Le but est d’envoyer un message non verbal clair et qui s’exprimerait ainsi :
– Tu vois ca mec? Je ne respire même pas vite pendant qu’on monte une cote! Hé chu plus fort que toi! Je ne ferai qu’une bouchée des simili-jambons qui te tiennent lieu de jambes!
Le gars a mes coté que je ne connais pas semble prendre ce jeu très au sérieux. Lors d’une petite bute pointue j’esquive un rapide coup d’œil vers lui. Le pauvre a la bouche fermée et les narines dilatés de la grosseur d’un trente sous. Je le soupçonne fortement d’essayer de respirer par un autre orifice un peu plus bas.
Une autre montée arrive et celle-ci est encore plus abrupte. C’est avec effroi que je vois mon voisin toujours avec la bouche fermée et qui semble sur le point de faire une crise d’apoplexie. Je me mets alors à respirer bruyamment par la bouche et simuler une hyperventilation comme si j’étais en zone 4. Un grand sourire se dessine sur son visage. Il ouvre enfin la bouche pour respirer et me lance :
– Ouais! S’tapic un peu hein?
– Oh yes!, Pas mal a pic, tout un réchauffement, lui dis-je, toujours en simulant l’hyperventilation.

Je change de place et m’enligne au devant pour les sections techniques qui sont sur le point de surgir en haut de la côte.
Dès que nous avons posé le pneu dans le petit sentier qui serpente à travers la forêt, la cadence augmente d’un coup sec. Tel des chiens de course, les coureurs les plus forts bondissent vers l’avant a fin de ne pas se faire ralentir par un one-shot qui aurait voulu se faire voir quelques minutes en tête.
Je vois un maillot des Durands boys à l’avant et celui-ci est en train de donner une méchante allure au groupe. Je crois qu’il s’agit d’El Benito et immédiatement je me mets à l’haïr pour nous obliger à grimper aussi vite. D’ailleurs je suis intimement convaincu que ce phénomène a une attirance marquée pour la souffrance.
Il faut le voir filer à toute allure dans les difficiles montées au guidon de son vélo avec un sourire accroché d’une oreille à l’autre pour avoir de sérieux doutes sur sa santé mentale.

Je surveille attentivement Christian qui s’accroche au groupe de tête. Les 12 minutes que j’ai à reprendre me tracassent et j’attends de voir un signe de fatigue pour m’échapper et essayer d’aller chercher le temps perdu hier. Notre groupe se scinde en deux et nous nous retrouvons avec l’annonceur vedette du réseau RDI, Michel Jean pour ne pas le nommer ainsi que Bruno Blais de l’équipe Mont-vélo. Je dois dire que pour un old timer, il tire fort bien son épingle du jeu le gars de RDI.

Les montés s’enchaînent l’une après l’autre et la douleur revient nous hanter, implacable comme toujours. Il semble que nous ne faisons que cela monter, toujours monter. Sans compter le tas de coureurs des départs précédents qu’il nous faut dépasser le plus rapidement possible et qui, souvent, nous obligent à sortir hors du chemin pour pouvoir passer.
Je regarde la terre brune s’écoulant sous mes roues et j’essaie de ne pas penser à la douleur qui émane de mes jambes torturées. Le silence le plus total m’entoure et les battements de mon cœur qui révolutionne à plus de 180 bmp font un vacarme épouvantable. La pression sanguine qui afflue au cerveau après chaque coup produit, dans ma tête, le même effet qu’un coup de canon; BANG!! BANG!! BANG!!
Tout au long des montées, cette batterie ne me quittera pas. Une chanson de Judas Priest me revient constamment en tête alors que retentit ce tintamarre;

I’m laying awake at night
I can’t take you out of my mind
All I can hear is my heartbeat
And a voice in the dark of some kind
Where are you now
The fear is coming back to me once again

Environ 1h30 après le départ nous arrivons au sommet des montagnes. Le chemin devenu carrossable pour les 4 X 4 et est fort compacté, ce qui nous permet de rouler à des vitesses hallucinantes. Tel une locomotive et ses wagons, nous nous élançons les uns derrière les autres à toute vapeur dans les virages serrés et fréquents qui parsèment cette route. Il nous faut également éviter les coureurs moins rapides et contourner les immenses flaques d’eau tapies un peu partout dans le chemin. Quand on ne peut pas les contourner il faut s’y lancer à toute vitesse afin de ne pas se faire ralentir par l’eau, d’où l’importance de suivre le coureur précédent le plus près possible afin de profiter de l’ouverture qu’il crée avec son vélo dans les mares. Il va sans dire que cette méthode est très dangereuse dans une route aussi tortueuse à des vitesses de plus de 40 km/h.
Les pluies diluviennes des derniers jours ont créé d’énormes ornières qui défigurent la route de part en part tel de grosses chenilles entrelacées sur une branche. Pourtant, aucun d’entre nous ne ralentit alors que la vitesse requise pour sauter par-dessus ces canaux augmente. Malgré notre rapidité et les sauts que nous effectuons pour passer de l’autre coté, il y a des endroits où c’est vraiment très juste et la roue arrière accroche avec violence le rebord de l’ornière lors de l’atterrissage. Certaines crevasses sont tellement profondes et larges que je suis persuadé qu’il ne s’agit que d’une question de minutes avant qu’une catastrophe ne se produise. Certains coureurs obligés de démonter de leurs vélos pour traverser nous regardent filer l’air ébahi: Mais ils sont fous!!
Une grosse mare s’étale devant nous et nous distinguons une matière non identifié sur tout le pourtour. Bon dieu! Qu’est-ce que c’est que ca? Des roches? Un genre de lac avec des rebords élevés? Merde! Pas le temps de freiner que nous sommes déjà dedans. De la slushe!!! De la slushe en plein mois de juillet!!!
Nous sommes abasourdis, on aura tout vu!
Enfin les ornières se font de plus en plus distantes pour disparaître presque complètement. Mon niveau de concentration baisse d’une coche alors que nous nous remettons de nos émotions. Juste comme je m’en vais saisir mon bidon, au sortir d’un virage, surgit devant nous une descente fortement prononcée. De gigantesques canaux ont complètement détruit le chemin, formant des crevasses de plus de 2 pieds de profondeur par 3 pieds de large. Plusieurs coureurs sont soit en travers du chemin avec leur bécane sous le bras pour essayer de passer ou tout simplement arrêtés pour évaluer l’obstacle. C’est la débandade générale parmi notre groupe. En catastrophe j’appuie sur les freins pour éviter Bruno qui, lui-même manque rentrer de plein fouet dans un des ravins. Je me retrouve sur le coté, passablement amoché coté épiderme mais intact au niveau squelettique. Michel s’est déjà relevé et il descend avec son vélo en bas de la pente pour traverser la rivière qui coupe ce qui reste du chemin. Ce faisant, il perd pied sur un des rochers glissants et plonge tête première dans l’eau. C’est léger comment un vélo de montagne? Assez en tout cas pour flotter dans des rapides, je vous le jure. Il fallait voir Michel se relever et partir à courir à grandes enjambées après son vélo. Il s’en est fallu de peu pour qu’il le ramasse à plusieurs miles en aval. Encore sous le coup d’une franche rigolade, je traverse la rivière à mon tour sans encombre avec les deux autres lascars derrière moi. Quelques instants plus tard Michel nous rejoint et la course se poursuit. Christian est en avant depuis plusieurs minutes et je me garde bien de prendre le relais bien que mon tour soit passé depuis longtemps. Il me regarde en criant :
– Hey! tu le prends-tu le relais???
– Quoi???
– C’est à ton tour d’aller en avant!!
– Parle plus fort, je n’entends rien!!
– Allez, cesses tes conneries et viens nous tirer merde!
– Comment ca? Tu t’es fait drafter toute la journée hier alors tire maintenant!

Finalement c’est Michel qui, en bon diplomate s’en retourne à l’avant pour les montés dans les sous-bois étanches qui ne vont pas tarder.

Depuis environ 1 heure maintenant que nous sommes dans les sous bois et le dépassement des autres coureurs devient de plus en plus difficile étant donné l’espace restreint dans lequel nous roulons. Je me fais dépasser à ma gauche par un certain Mathieu Darveau. Celui-ci roule comme un déchaîné avec à ses trousses un Gilles Morneau qui le poursuit avec grand un sourire de délectation. Bof, l’attirance de ce dernier envers les coureurs aux petites cuisses de poulets est un secret de polichinelle. Tous les goûts sont dans la nature n’est-ce pas?

Sans que je ne sache trop comment, Christian et moi nous retrouvons seuls à la sortie des sous-bois et je feins d’être fatigué pour qu’il abaisse sa garde. Il sait toutefois que je veux reprendre le temps d’hier et il ne me laissera pas filer facilement malgré la faim qui le tenaille. Nous arrivons ainsi à la dernière section technique qui est situé à environ 20 kilomètres de l’arrivée. Sitôt le singletrack en vue, j’ouvre les gaz a plein régime sachant fort bien que je suis plus fort que lui dans le technique. S’il y a un moment où je peux le semer, c’est maintenant. Après plus de 20 minutes d’un régime élevé, je sors du singletrack. Pas de traces de Christian en vue mais cet effort a lourdement hypothéqué mes réserves d’énergie déjà fortement amenuisées depuis la veille. Il faut donc que je ralentisse un peu pour récupérer, je n’ai pas le choix. Malheureusement je vois la bouille de Christian qui s’amène au loin derrière moi quelques minutes plus tard. Ce gars est vraiment très fort et il n’a pas abandonné, chapeau!
Dès qu’il arrive à ma hauteur je lui lance :
– Écoute mec, je suis écœuré de pousser, on est pratiquement rendu et je ne réussirai jamais à aller chercher 12 minutes en 15 kilomètres, on va finir molo OK?
– Pas de troubles pour moi,
– J’ai une de ces fringales!
– Moi aussi!
– Alors dépêchons-nous, on est presque rendu!

Et nous voilà repartis de plus belle pour les derniers kilos. Nous arrivons à l’extrémité de la ville et les sentiers deviennent une route de campagne. Plus que quelques kilomètres à parcourir quand tout à coup ma roue avant se dérobe à gauche et à droite comme prise d’une subite volonté propre. Une autre crevaison!!
Il ne reste que quelques kilomètres de chemin asphaltés alors tant pis, on continue comme ça. Tandis que Christian s’éloigne, je mets tout ce qu’il me reste d’énergie à faire avancer ce vélosaure lent et difficile à contrôler. C’est donc de peine et de misère que je franchis la ligne d’arrivée, sous les applaudissements des spectateurs, parents et amis. Je finis quand même deuxième au cumulatif des deux jours. Cependant, comme le disait si bien Caroline Brunet ; l’argent ne vaut rien. Seul l’or compte. Heureusement qu’il me reste la satisfaction d’une promenade du tonnerre.

On remet ça l’an prochain!