Huit heures par jour: Pierre Gendron s’improvise courrier à vélo

Notre journaliste invité s’est payé une journée dans la vie d’un courrier à vélo à Montréal. Voici ses impressions:

Partie 1 rencontrez Tite Chante

Tite Chante pédale 5 jours/semaine et le soir elle crée des bijoux pour les Salons des Métiers d’Art de Montréal et Toronto. Quand il lui reste du temps, les fins de semaine, elle en bat une bonne gang au pool.
Ne cherchez pas le nom de Chantale Duchesneau dans les résultats de courses canadiens ou mondiaux; Chantale n’est pas une pro cycliste grassement commanditée ni avantageusement « cartée » par Sport Canada. Les seules courses que Chantale fait ont lieu entre deux « mailing room » ou halls d’entrée des grandes entreprises de Montréal.

Vous l’avez deviné, elle est courrier à vélo ( Courrier Plus) .

Elle roule sur un Spech RockHopper qui aurait besoin d’une grosse job de peinture.
Elle ne porte pas de casque mais une casquette noire duquel sort une belle grosse tresse de cheveux roux. Hon! pas de casque!!!
Par contre ses embouts de guidon sont bouchés comme le demande la FQSC!
Elle va se trouver des $$$ pour s’acheter des souliers à clip…. au printemps prochain; en hiver la sloche ça bouche rapidement les SPD.

Son attirail comprend un gros sac Cocotte étanche sur lequel pendent un cell (qui ne fonctionne que le numéro du répartiteur) , un « pager » où s’inscrivent les adresses de cueillettes (pick-up) et dépôts (drop) et une grosse pince à papier qui retient la liasse de waybills (j’ai oublié le vrai terme français, mais ça ressemble à :connaissement) de la journée.
En plus de ces pendrioches, ce sac contient une grande quantité de messages, de desseins et dessins et l’inévitable gros cadenas en U.
L’attirail se complète par un joli bracelet sur lequel dandine la clef du U-Lock.

Tite Chante est forte en géographie urbaine et économise ainsi ses efforts : elle jongle avec les délais de livraison , les itinéraires, et la topographie de la ville (il faut éviter le plus possible de faire la Beaver Hall trop souvent) et réussit ainsi à concentrer ses déplacements. Il faut économiser ses énergies car on ne sait jamais de quoi sera faite la journée. Trop de débutants roulent à fond en début de journée pour se retrouver « toasté » quand la vraie journée débute vers 14:30 alors que tout message ( un direct) doit être livré dans les 30 minutes…peu importe le temps qu’il fait dehors!.

Chantale, est une amie de ma fille, une fille adoptive, une copine et une cycliste très tuff!

Après plusieurs occasions ratées, j’ai finalement pu vivre (vendredi le 27/09/02) une journée complète de sa job de courrier à vélo.

Partie 2 : Ma première journée

Ça commence à 8:00 au bureau de son employeur sis dans l’est de Montréal. Tout le monde y est sympathique et un peu endormi. Chacun y prend ses directives et appareils de communication puis c’est le départ pour le centre ville. La rue Sherbrooke nous sert de piste de réchauffement et la circulation de l’heure de pointe s’occupe de nous aiguiser les réflexes.

Chantale m’initie à piloter entre les voitures, à éviter les portes qui s’ouvrent sans pré-avis et à utiliser le trottoir comme voie d’urgence. Je suis surpris de la voir atteinte de daltonisme (les femmes habituellement ne le sont pas pourtant) face à la couleur des feux de circulation. Mais nous sommes extra-vigilants et le scanning visuel est de rigueur en tout temps.

D’ailleurs nous nous faisons dépasser par deux cyclistes endormis qui ne voient pas se développer pour eux un possible accident. Ils l’apprennent à leur dépend puisqu’ils entrent tous les deux dans une Caravan rouge qui fait un virage à gauche et ainsi leur coupe le chemin : deux beaux « face plant », une selle brisée et des gros mots bilingues. Chantale me rassure en me disant que ces situations sont rares. Je la crois sur parole.

Puis le premier « call » arrive et c’est le début de la journée qui va se terminer à 17:00 et qui sera arrosé par une pluie incessante de 12 :30 à 17 :00 heures.

Entre « mailing rooms » et beaux halls d’entrée c’est une ronde incessante. La règle c’est de rouler pas nécessairement le plus vite , mais ne jamais arrêter et prendre toutes les voies possible pour arriver.

C’est très excitant et « full adrénaline ».

Passer entre deux voitures en marche sans toucher leurs rétroviseurs; accélérer pour éviter de se faire couper par un virage à droite; griller un feu rouge avant que les autres autos n’aient eu le temps de démarrer sur leur vert; voir une situation se développer et réagir en sautant sur le trottoir pour revenir dans la rue ensuite…. rouler à vélo entouré d’obstacles mobiles dont il faut prévoir les agissements. C’est du pur plaisir sportif et intellectuel. Dommage que la partie livraison-de-courrier (arrêter, barrer le vélo, prendre l’ascenseur, livrer ou prendre du courrier, signer les papiers et reprendre la route) ne vienne gâcher le rush , mais c’est par contre cette même partie qui fournit le cash, alors….
Et puis il y a des compagnies qui ont des réceptionnistes très gentilles et même très sexy!

Partie 3 : Les courriers à vélo

Il y a autour de 200 courriers vélo à Mtl (autour de 20 filles) qui utilisent toutes les sortes de vélo possible. Il y a du vélo de montagne de toutes les gammes, même chose pour des vélos de route; les hybrides sont aussi présents. J’ai même vu deux BMX et quelques vélos qui semblent avoir passé quelques hivers attachés à un parcomètre (ces vélos transportent un cadenas qui vaut nettement plus cher qu’eux).
Côté équipement, personnellement je roulais sur mon fidèle Symbiosis chaussé de Schwalbe à bandes de roulement. Ma fourche Manitou Spyder a perdu depuis quelques années son potentiel d’absorption. On roule 98% du temps sur le gros plateau et on joue un peu avec les braquets arrière.

Le code vestimentaire est dicté par le confort et le look.

Il y a le look cycliste sportif (cuissard, souliers à clip, casque et même maillot) qui allie confort et qui projette l’image aux spectateurs d’une forme physique enviable.
Il y a le look « urban assault » (shorts yo avec ou sans cuissard dessous, chandails ou chemise ou veste ayant du vécu, le casque est remplacé par un bandana, une casquette ou des cheveux) qui allie confort et qui projette l’image aux spectateurs d’une forme de pensée « chill »
Et il y a les mélanges de looks.

Le casque est peu porté car on me dit qu’il apporte la malchance : les automobilistes donneraient moins de chance à quelqu’un qui a un casque!

Les courriers que j’ai rencontrés ne traînent pas de matériel complet pour crevaison. L’un a un kit de patch (dont la colle est depuis longtemps évaporée du tube), l’autre a seulement une barre à enlever les pneus. Personne n’a de pompe. Quand on crève, on perd un temps fou (donc des $$$) à aller faire réparer dans un « bike shop »
La raison de cette absence est peut-être la suivante : un crack-sac se ferait voler au premier pick-up et un kit d’outils prend de la place et fait du poids dans le gros sac. C’est peut-être la raison. Mais il est vrai que demander de l,aide à d’autres courriers crée des liens…

Je n’ai pas vu de bouteille d’eau sur les vélos. Probablement que la raison est très bien expliquée dans le film « 2 secondes » .

Il y a des courriers qui ont des cheveux gris.

Passer la journée à faire du vélo n’est pas la partie la plus difficile (s’il fait beau). Ce qui tue c’est d’entrer et sortir des buildings, de vivre les changements de température (chauffage ou climatisation)…et faire cela tous les jours!

Partie 4 : Remarques en vrac :

Les automobilistes de Montréal centre-ville sont corrects , ils tiennent compte du phénomène des courriers qui les entourent de partout et ne font pas de gestes volontaires pour causer des torts . Ils jouent la game Par contre les piétons ne sont pas très disciplinés aux feux de circulation …tout comme les courriers à vélo.

Les couvercles de « trous d’hommes » mouillés sont très glissants. J’ai fait un « wipe-out » de la roue avant en plein rue Ste Catherine avec derrière moi la circulation qui venait de passer au feu vert. On se remet en selle très rapidement. Bon exercice pour un cyclocrosseur

Il est préférable d’avoir un guidon plus court (circulation entre les voitures) et les cornes de bouts de guidon ne sont pas utiles. Je préfère un guidon droit plutôt qu’un courbé (route), la vision périphérique s’en trouve améliorée.

Les souliers à clip améliorent les départs et les montées mais sont très glissants (surtout si mouillés) sur planchers de marbre ou terrazo des grands bureaux.

Plusieurs courriers à vélo sont des fumeurs.

Partie 5 : En conclusion

Évidemment toute cette littérature n’est issue que d’une seule journée vécue auprès de ma guide Chantale (je lui ai promis d’en faire une autre avec elle cet hiver). Une semaine, un mois , une année apporteraient des anecdotes croustillantes, des faits d’armes mémorables, des passes killer ou des accidents moins jojos.

Je crois qu’il faut faire ce métier pour la liberté qu’il comporte, pas seulement pour le cash.
Il faut faire ce métier pour le grand air et le buzz que le risque procure, pas seulement pour le cash.
Il faut faire ce métier pour le goût du mouvement, le rythme d’être sur un vélo et de danser autour des obstacles.
Il faut faire ce métier pour se sentir libre et regarder sans regret les gens dans les bureaux, attachés à leurs chaises et leurs écrans.
Il faut faire ce métier pour se sentir en santé et se comparer aux gens au teint gris, avec petites bédaines qui grillent avidement et sans joie apparente leurs cigarettes sur les perrons des building.
On fait ce métier parce qu’on se sent en vie , qu’on se la gagne et qu’on se la risque aussi.

P.S. N’oubliez pas d’aller voir le kiosque de bijoux de Chantale Duchesneau au Salon des Métiers d’art de Montréal. Et remarquez son air enjoué.

Un confrère de Tite Chante en attente d’un « call » du « dispatcher ». Notez les souliers, la cigarette et le pas de casque.
Magnifique photo de Tite Chante, prise par un gars qui mérite qu’on le pluggue comme il se doit:
Photo (c) 2002, Pierre Roussel
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