Uturuncu: MIssion accomplie !

Jeudi, le 8 avril 2004, à 18:10, après avoir grimpé les 23km séparant le camp de base du sommet en 9 heures et 10 minutes, les cinq membres de l’équipe TranseAndes-Summit reforestation ont franchi les 6008m du volcan Uturuncu (Bolivie) à vélo de montagne, établissant un record mondial.

Il fut toutefois géographiquement impossible de passer les derniers 198m de dénivelé de la cime rocheuse sur le vélo, ce qui ramène le record de la plus haute montée sur vélo (sans marcher) à 5810m. Félicitations à Darcy Lemire, Julie Lefebvre, Sébastien Delorme, Philippe Leblanc et Annie Blanchette.

Darcy raconte cette journée éprouvante et les jours qui l’ont précédée:


La préparation:
Ce fut le retour sur LaPaz pour un entraînement en haute altitude. A partir d’ici, et jusqu à l’ ascension du monstre de 6008m, nous ne pédalerons plus sous les 4000m. Il y a eu le mont Chacaltaya a 5256m (la plus haute station de ski au monde), puis l’ascension du difficile col de Tuni à 5025m, passant à quelques mètres du glacier du mont Hayna Potosi, sur une route qui mène à un refuge pour andinistes… qui ne comprennent pas trop ce qu’une gang de malades viennent faire à vélo à une telle altitude.

Chaque journée son défi, son morceau d’aventure, comme ce retour du lago Tuni où nous nous sommes trompés de chemin ( parce qu’il y a des pistes partout dans ce coin du monde et la signalisation autant que les cartes dignes de ce nom sont inexistantes), et que nous nous sommes rendu compte un peu trop tard que la piste que nous suivions menait nulle part, un cul-de-sac perché à 4700m, à une inclinaison défiant toute imagination. Trois heures que ça nous a pris pour sortir de ce merdier, mais le souvenir en reste appréciable, c’est que les panoramas hallucinants de la Bolivie, son âme, donnent à chaque moment une petite touche de magie.

Dernier rendez-vous avant le grand départ pour le Sud de Lipez, le Parc national du Sajama. Notre objectif ici fut plus de faire de long fonciers à une altitude variant entre 4200 et 4400 mètres que de grimper de hauts cols, pour à la fois bien tourner les jambes, s’habituer à des sentiers ensablés (car le sentier de l’Uturuncu est plutot sablonneux, tendance poussières volcaniques) et ne pas trop puiser dans nos réserves énergétiques. Le soir venu, un petit bain thermal sculpté dans la pierre du temps en pleine nature, à l’ombre du volcan Sajama (le plus haut de Bolivie 6560m), pour détendre la musculature, en mangeant un bon steak de lama préparé au charbon de bois par notre chauffeur bolivien, le super Renan en personne qui nous fut d’une aide précieuse tout au long de notre périple.

Départ du Sajama. Deux pénibles jours de 4×4 pour se rendre dans les pronfondeurs lointaines de cette mystérieuse Bolivie, en passant par Uyuni et son salar, le plus grand désert de sel au monde, spectacle qu’on vous souhaite de vivre un jour. Et enfin, Quetena Chico, notre camp de base, planté tel un belvédère, en face du volcan Uturuncu, qui nous regarde arriver, de ses deux pointes enneigées, un peu sceptique, avec nos vélos qui se sont faits pas mal brasser depuis les deux derniers jours, plusieurs cicatrices sur nos cadres en témoignent encore.

La veille:
Première journée sur les lieux et dernière avant de s’attaquer au record, nous décidons de faire une petite balade matinale d’une trentaine de kilomètres dans les environs. Encore une fois, ce que nous y découvrons nous stupéfait, montagnes sablonneuses oranges et jaunes avec cime de pierres noires à tête blanche, canyons de pierres rouges dans lesquels coulent de minces filets d’eau turquoise laissant une faible végétation verte sombre, le tout sur un ciel d’un bleu obscur qui nous rapelle qu’a cette altitude, nous sommes plus près de des noirceurs de l’espace. Bref, nous pédalions dans une toile de Dali. En après-midi, voté à l’unanimité, toute l’équipe s’en est allée gravir en 4×4 le titanesque Uturuncu, pour évaluer la condition du sentier, pour s’acclimater à une altitude passée les 5500m, mais surtout pour démystifier ce mastodonte qui nous écrase de sa majesté depuis 24 heures. De le rouler en 4×4 nous a davantage fait peur (une peur renforcissante, empreinte de respect) que calmé. Pour combattre cette crainte de l’échec, nous avons gravi la montagne, à pied à partir de 5500m, jusqu’au sommet, nous affaiblissant physiquement mais nous renforcant mentalement.

Le Jour J:
Nous nous sommes levé très tôt le matin du jour J. Nous avons enfilé un petit déjeuner convenable pour ce genre de journée, puis nous avons attendu que le soleil se lève un peu, parce que la nuit, il fait autour de -10°C, et l’après-midi il peut faire facilement 20°C, tel un désert. A 8h, nous sommes partis en 4×4 jusqu’à la base du Volcan, car entre le volcan et le camp de base, il y a 9 kilomètres de vallons montants et descendants, sablonneux, et deux petites rivières á traverser. Il nous a donc paru logique de franchir cet obstacle sans dénivelé en 4×4. Nous sommes arrivés à notre point de départ vers 8h30. Une demi-heure pour les derniers préparatifs. Le départ officiel fut lancé à 9 heure. Sébastien est parti comme une balle, comme un boxeur qui n’en peut plus d’attendre pour embarquer sur le ring.

Nous sommes partis à 4280m de dénivelé. Les premiers 10kms, pour atteindre le premier palier à 4750m, pour franchir la grosse bosse qui mène au cône principal du volcan, furent franchis dans l’allégresse et la tranquilité. Il faut dire que tout au long de la journée, le soleil et le ciel bleu nous ont accompagné positivement. À partir de 4750m, la piste s’est corsée quelque peu, avec des angles de plus de 20%, une face de singe, comme on dit en VTT, de plus de 2 kilomètres. Deuxième palier d’équipe à 5000m. Les distances entre les différents membres de l’équipe commencent à se faire sentir. Finalement, à partir de 5000m, ça devient un peu du chacun pour soi, car chacun a son rythme, sa méthode, sa manière à lui pour parvenir jusqu’au sommet, et il est déjà 1h30 de l’après-midi, ca fait déja 4h et 30 minutes qu’on grimpe, la concentration prend la place de la parole.

De 5000m à 5500m, il y a des troncons vraiment difficiles, abrupts et rocailleux, et l’air semble vide, nos poumons semblent ne pas vouloir se remplir, comme si ils avaient diminué de moitié. Mais nous demeurons dans le faisable, chaque 100 mètres, nous reprenons notre souffle, parce qu’il y a une seule loi qui tient: Nous ne pouvons pas marcher ne serais-ce qu’un mètre, il faut tout pédaler cette foutue piste ou rentrer dans le 4×4 si il y a épuisement. Á certains endroits, il faut s’y prendre à plus de cinq fois avant de redécoller d’un troncon sablonneux ou trop rocailleux.

Il y a peu de temps, un bon 4×4 pouvait se rendre jusqu’á la vieille mine de souffre, à 5700m. Mais depuis peu, il y a eu un effondrement de terrain, ce qui oblige l’arrêt de notre véhicule à 5500m. Ce fut notre ultime point de rencontre d’équipe avant le sommet, pour se répartir eau, nourriture et équipement. Mais déja, les écarts entre chacun étaient assez significatifs, entre le premier et le dernier arrivé, il y avait 1 heure et 25 minutes.

C’est à partir de la dernière partie que les choses se sont vraiment gâtées. Comme les 4×4 ne pouvaient plus passer, la piste n’était plus tapée, le sable et la poussière volcanique n’étaient plus compactés. Nos pneus s’écrasaient dans la matière libre, volatile, un peu comme devrait être une expédition de vélo sur la lune. Chaque mètre était un combat à livrer, chaque 100 mètres une victoire. Entre le 5600m et 5650m, sur une distance de 1.2 kilomètre, 50 minutes de violence physique et psychologique furent nécessaire pour arracher nos vélos de ce bourbier. Notre coeur, qui pompait entre 140 et 180 pulsations minutes depuis près de 7 heures, redescendait rarement en dessous des 160 pulsions minute. Nous étions tous dans le tapis quoi!!

Vers les 5700m. Nous découvrimes un spectacle étrange. La piste devint dure et plane, et résonnait sous nos pneus. Une forte odeur chimique émanait de centaines de petits trous fumant et crachant une poudre jaune fluorescente, nous étions rendus à la mine de souffre. Rendus là, nous savions, épuisés, que le plus difficile restait à faire, le pic rocheux. Nous avons monté un autre 110 mètres, de peine, dans un mélange de minuscules pierres concassées, mais il devenait évident qu’il était physiquement impossible de franchir les derniers 200m, et il faut dire qu’après avoir traversé tout ca… ca fait c*issement chier d’être bloqués si près du but. La pointe enneigée était là, devant nous, presque palpable, brillante de ses glaces reflétant le soleil couchant.

Deux membres de l’équipe décidèrent de laisser leurs vélos à 5810m, gravissant le reste à pied. Deux autres membres ont apporté leur vélo sur l’épaule jusqu’à 5900m, le temps manquant, ils ont dû abandonner leurs fidèles montures sur la pente pour gravir le reste à pied. Seul un membre de l’équipe a pu monter jusqu’à 6008m avec son vélo sur l’épaule, et nous lui en sommes bien reconnaissants. À 18:10, toute l’équipe était là, totalement exténuée, mais bien là…

Ce fut à la fois une des jounées des plus atroces et des plus merveilleuses de notre vie.

Bien sûr, cette version des faits est la mienne. Darcy Lemire.
Chacun sa version.


Justement, voici la version de Sébastien Delorme:

L’ascension fut complétée en entier à vélo le jeudi suivant, exception d’une petite partie autour de 5850m. J’ai pu réenfourcher ma bécane pour pédaler les derniers mètres jusqu’au sommet à 6008 mètres.

Dû à l’air pauvre en oxygène autour de 5000-6000m. certaines parties du sentier nécessitaient une minute de repos pour chaque coup de pédale. Hyperventilation, acide lactique et minuscules maux de tête bienvenue.

La descente fut complétée en entier du sommet de l’Uturuncu jusqu’à la base de l’altiplano.

Toute notre énergie a servi pour l’ascension et un peu de ma peau y est resté lors de la descente effectuée au clair de lune, onze heures plus tard.