Conversation sur la ligne de départ au Raid Bras-du-Nord

Voici une chouette anecdote qu’il me tardait de partager avec vous…

Sous la ligne de départ, 5 minutes avant le départ… C’est l’appel des 5 coureurs élite inscrits pour les placer à l’avant du peloton. Des noms connus, des moins connus, et oups! un total inconnu, qui s’avance sur son vélo moyen de gamme, muni de pédales avec cale-pieds, chaussé d’espadrilles et de bas de laine longs, vêtu de pantalons cargo, d’un grand T-Shirt, coiffé d’un casque mal ajusté, ne portant pas de lunettes.

N’allez pas croire que je dénigre un tel équipement ou que je snobe ce cycliste, au contraire! C’est toujours plaisant de voir des nouveaux se joindre à nos événements, espérant qu’ils auront la piqûre et deviendront des passionnés et connaîtront toutes les belles sensations de notre sport, etc. Cependant, il est clair que ce gars-là n’est pas à sa place dans le groupe des élites. Il s’est produit une erreur quelque part, c’est évident. Pour courir Élite, il faut avoir sa licence Élite, et je ne pense pas que ce gars-là s’est pris une licence Élite à 80$. Et quand on prend une licence d’événement (juste pour une journée) on ne peut la prendre en catégorie Élite. Alors il y a anguille sous roche. Genre une anguille de 25 lbs dessous une roche de 0-¾.

Je suis placé derrière lui, sur la deuxième ligne. Pendant que les commissaires donnent les instructions d’usage (qu’il est d’usage de ne pas écouter pour ensuite pouvoir dire durant la course: » hey? que cé ça, ils auraient pu nous avertir!!! « ), je demande poliment au gars si il possède une licence Élite. Il se renfrogne et me répond du tac au tac: « Quoi, j’ai pas l’air d’un coureur Élite? » puis se vire de bord et regarde droit devant lui. Oups! Y’est choqué! Tout le monde autour a entendu et personne sait pus quoi dire. Je décroche mon diplôme du mur et je me tire une chaise, pour lui parler avec diplôme assis:

  • Choque-toi pas, je veux juste savoir si t’as une licence permanente élite ou si t’as pris une licence d’un jour. On t’a jamais vu auparavant, c’est ben normal de faire connaissance, non?
  • Ben j’ai payé le 20$ de plus, chus en règle, c’est quoi le problème?
  • C’est cool, c’est juste que selon les règles, tu peux pas prendre une licence d’un jour chez les Élites, y’a quequ’un qui dormait sur la switch quelque part.
  • Coudon, c’est donc ben sérieux, icitte? Qu’il rajoute, toujours ben choqué.

Tout le monde autour se retient pour pas pouffer de rire. On lui dit: « ben non, on est pas sérieux, on essaie d’être relax, de jaser en attendant le départ ». Luc Proulx en profite même pour placer quelques jokes subtiles pour détendre l’atmosphère. Notre recrue semble enfin comprendre qu’on n’a rien contre lui. Il suit même mon conseil d’ami et donne quelques tours de pédale pour replacer sa chaîne qui était à cheval sur 3 pignons derrière, à moitié déraillée. Ça aurait été beau au départ. D’ailleurs, son départ fut très laborieux, mettre des cale-pieds, c’est pas évident. Une chance que c’était pas un départ de XC. D’ailleurs, ça me remémore une autre anecdote du genre:

Championnat du Monde de XC, Vail, Colorado, 1996. (VRAI Championnat du monde, tous les meilleurs sont là, chez les pros et chez les masters, rien à voir avec les Masters actuels) (150 au départ dans notre course, vs 125 au total à Kamloops la sem. passée, hé hé…), mais anyway, je m’écarte. Tous les meilleurs sont là, mais des moins bons itou. Le tirage au sort des rangs de départ a favorisé des africains qui se retrouvent sur la première ligne. Ils n’ont jamais fait de vélo de montagne. Il fait 28 degrés, ils sont gelés et ils sont en survêtements longs Adidas jaune. Dès le signal du départ, ils font 10 mètres, s’enfargent dans leurs pédales, s’accrochent, se font rentrer dedans et la moitié du peloton s’empile derrière eux. Fin de l’anecdote africaine.

Retour au Bras du nord: On roule sur la piste cyclable, bon pace civilisé, pas trop dangereux. Notre recrue roule avec les 5 Élites devant. En fait les élites sont dans la rangée de droite, chose-bine est dans la rangée de gauche, mais personne n’ose rouler derrière lui. Je lui conseille de monter sur le gros plateau à l’avant, hé hé… Il me dit : « Y m’ont dit que ça roulait à 20 km/h à peu près… là, on roule à 40, c’est débile! » Je lui explique que c’est normal, que ça va slaquer en arrivant dans le bois. Il me dit que après tout, son seul but est de terminer l’épreuve. Sur ce, on se perd de vue.

Je le revois quelques heures plus tard, sous la même ligne de départ-arrivée, alors qu’il termine sa course, accueilli par quelques chums, visiblement fier, avec un temps très honnête. Je vais lui serrer la main, il n’est plus choqué après moi, ouf! J’ose lui demander encore une fois la raison de ce bizarre sur-classement. Le chat sort du sac : « Mon frère (ou beau-frère, genre, me rappelle pus précisément) m’a prêté son vélo et m’a dit qu’il me le donnait si je finissais dans les 5 premiers! Chus 5e! je l’ai gagné! »

Ses amis partent à rire en disant, ben voyons, t’es pas 5e, tu dois être 200e! Sa réponse est immédiate et savoureuse: « Wo là! faut pas mélanger les pommes pis les oranges! »


Ça, c’est pas lui, c’est moi. (Photo gracieusité de MANON BOURQUE)