«Le sport a changé dans le sens qu’il est rendu plus acrobatique, plus rapide, donc le risque devient plus élevé, c’est ce qui rend le spectacle encore plus intéressant.»
À qui doit-on cette citation et à quel sport fait-elle référence? Vous trouverez jamais. 🙂 C’étaient les paroles d’Élyse Marcotte qui commentait à la TV la Coupe du monde de nage synchronisée au PEPS la semaine passée. What the… ? Hypothèse: De peur de se faire sortir des olympiques parce que leur sport n’est pas assez dangereux, les nageuses doivent désormais évoluer dans des piscines infestées de crocrodiles affamés.
Sans blague, je ne connais pas assez ce sport pour comprendre quels sont les risques évoqués, mais il semble que ce sport adhère aussi au «théorème du 2.0», qui dit «Risque élevé = Spectacle intéressant».
D’où vient ce théorème incongru ? Il semble que ça vient de la télévision, qui impose ses dictats aux jeux olympiques. On veut des sports plus spectaculaires, plus attrayants pour le téléspectateur. On a donc raccourci la durée des courses pour qu’elles soient plus serrées, on a ajouté des obstacles artificiels de plus en plus hauts et de plus en plus périlleux, pour que les athlètes s’élancent dans les airs ou chutent de façon spectaculaire. En un mot, on veut des chutes, pour ajouter au spectacle. Il paraît que le marathon va aussi passer au niveau 2.0 en ajoutant du parkour à ses parcours. Les marathoniens devront grimper des murs, sauter d’un édifice à l’autre, traverser des zones de clous et de charbons ardents. Mais non, je délire. Mais avouez que ce sport est encore moins audiovisuellement intéressant que le vélo de montagne. Du monde qui courent à la même vitesse en ligne droite sur le plat pendant 3h de temps, difficile de trouver plus plate comme spectacle. Pourtant, ce sport est-il en danger ? Au contraire, la participation ne fait qu’augmenter.
Conséquences sur les athlètes
Les athlètes de la coupe du monde de vélo de montagne n’ont pas eu le choix de se plier aux changements qui ont affecté leur sport. Il n’existe pas d’information disponible sur les conséquences de ces changements sur la santé des coureurs. C’est juste une impression personnelle, mais il me semble qu’on entend plus fréquemment parler de coureurs mis sur le carreau suite à des fractures ou des chutes. Durant les 20 dernières années, je ne me rappelle pas d’accidents graves survenus en courses de cross-country. Grace au nouveau format de course XC Eliminator, c’est maintenant chose faite.
Une chute mortelle est survenue cet été lors de l’entraînement d’une coupe du monde XC Eliminator à Méribel. La jeune espoir Néerlandaise Annefleur Kalvenhaar a pris son envol sur une passerelle et a atterri trop loin, se fracassant la tête sur son guidon. Elle avait tout juste 20 ans et une brillante carrière devant elle. L’UCI a offert ses condoléances à la famille d’Anne-Fleur mais l’accident ne semble provoquer aucune remise en question du format de course. Pour l’anecdote, à ma question «Suite à ce décès, est-ce que l’UCI envisage une réflexion ou une révision face à l’approche «2.0», qui augmente le risque d’accidents dans les parcours, ou si l’UCI garde le cap sur cette tendance?» l’attaché de presse de l’UCI a répondu : «Qu’entendez-vous par 2.0?»
Ce décès semble donc être un dossier clos, rangé dans la catégorie «accident bête», du genre «qui aurait pu arriver ailleurs en course», et aucune mesure ne semble vouloir être apportée au format de ces courses. Les autorités ont établi que la configuration du parcours n’était pas en cause. Pourtant, sur le terrain, on a tout de suite modifié le tracé avec une chicane à l’entrée du pont pour ralentir les coureurs. C’est selon moi une admission évidente de l’erreur de conception du parcours, qui a entraîné un accident tragique.
Situation au Québec
Qu’en est-il du vélo de montagne ici? Selon moi, tout est en place pour que le même genre d’accident grave se produise ici. La game à l’international ayant changé, on s’est adapté au Québec pour que nos athlètes de pointe sachent faire face à la musique. Les Coupes Canada et les Coupes Québec ont donc adopté le standard «2.0», intégrant aux parcours des drops, des sauts, etc. La tendance s’est tranquillement propagée jusqu’au niveau régional. La région de Québec a vu apparaître peu à peu ce genre d’obstacles, la logique des designers de parcours étant que la Coupe Lambert est un circuit de développement et que nos jeunes doivent apprendre à jumper en course au niveau régional pour pouvoir le faire au niveau provincial.
À première vue, ça fait du sens. Sauf que… le circuit régional, il n’y a rien en dessous. C’est sur ce circuit qu’on initie les jeunes et les moins jeunes à la compétition. Le raisonnement actuel face à ces nouveaux coureurs est «pas de problème, ils ne sont pas obligés de faire les jumps, il y a toujours une chicken line.»
Chicken line! Deux mots, une expression consacrée qui illustre à merveille la condescendance des bons par rapport aux mauvais, la supériorité des braves par rapport aux peureux. Le 2.0 appliqué à tous les niveaux au Québec, c’est une façon très efficace de développer notre élite, de la préparer pour le grand cirque tout en haut. Par contre, l’appliquer au niveau régional a pour effet de réduire la base de la pyramide, car le haut niveau de difficulté des parcours est la principale raison évoquée par les athlètes potentiels pour ne pas faire de compétition.
Nous, les compétiteurs, sommes l’outil marketing #1 pour notre sport. Nous rayonnons autour de nous, dans notre famille, dans le voisinage, dans notre milieu de travail. Combien de gens avons-nous initié au vélo de montagne ou à la compétition ? Pour ma part, ils se comptent par dizaines. Parmi ceux que j’ai initié, plusieurs ont aimé et continué, devenant eux-mêmes des ambassadeurs, des entraineurs ou des leaders dans nos clubs, initiant à leur tour des dizaines de novices. Par contre, d’autres ont moins aimé et ont dévié tôt ou tard vers d’autres sports. La principale réticence lorsqu’on encourage un nouveau à essayer la course, c’est le niveau de difficulté. «C’est bien trop dur, je suis pas très habile en vélo, je suis pas assez en forme, je ne suis juste pas capable de rouler dans un parcours aussi difficile.» Il y a dix ou vingt ans, je pouvais répondre: «Viens faire une course régionale mercredi soir, tu vas voir, c’est pas si difficile que ça, t’es capable de tout rouler et tu vas te faire du fun.»
Ça marchait jusqu’à ces dernières années. Maintenant, je n’ose même plus faire cette invitation, parce que je sais que les parcours sont devenus trop difficiles. Notre circuit régional est devenu une petite clique fermée, où les meilleurs se développent et se font du fun sur des parcours d’une très grande qualité. Inviter un novice sur ce genre de parcours équivaut à recruter un con pour un diner de cons. Dans sa course, le nouveau pourra se faire humilier à souhait en marchant dans les sections pas roulables et en prenant les chicken lines pour ne pas se casser la gueule. Si son orgueil est plus fort que sa prudence, il s’essaiera sur un saut ou une drop et viendra éventuellement grossir les statistiques d’accidents. Une chose est sûre: il se sentira bien con et il y a plus de chances qu’on ne le revoie pas que de chances qu’on le revoie.
Quelques cas qui auraient pu être évités
On ne s’en rend pas toujours compte, mais des accidents se produisent en course et aux entrainements. Voici quelques exemples d’accidents subis lors de la première course de la saison, dans une section du parcours où se trouvaient un saut/drop et une chicken line permettant de l’éviter. Tout d’abord, il y a eu le cas de Marianne Théberge, coureuse minime expérimentée, qui pendant sa course talonnait une autre coureuse. Celle-ci a freiné devant elle juste avant la drop, car si elle avait sauté, elle aurait atterri sur une autre coureuse qui arrivait du chicken-pass. Résultat: os du bras cassé pour Marianne.
Raphaelle Sylvain, une coureuse cadette du club Baie-Saint-Paul, a subi une chute au même endroit à l’entraînement. Elle témoigne: «Lors de la compé régionale à la polyvalente le Sommet, pendant le tour de reconnaissance, je suis arrivée à la drop que je ne savais pas qui était. Il y avait une flèche indiquant chemin A et chemin B , alors j’ai pris le chemin A. Arrivée sur la drop, trop tard, je l’ai vue, j’était dessus et j’ai freiné … trop tard et mauvaise manœuvre… alors j’ai fait un 360 avec le vélo et je suis tombée sur la tête et mon casque a cassé. Sur place, il y avait des gens qui ont contacté les secours, alors j’ai été placée sur une planche dorsale et conduite en ambulance jusqu’à l’hôpital où ils ont fait des radios pour finalement voir que tout était ok… La pertinence d’une drop dans une compé régionale, je pense que ce n’est pas nécessaire ou sinon un peu comme à Baie St-Paul, il faudrait très bien indiquer avec le mot drop, et ouvert aux catégories élite qui sont habitués…»
Manuel Parent a eu moins de chance. Père de famille néophyte encouragé par ses camarades de club à essayer la compétition, il est allé s’entrainer dans le parcours, a pris la chicken line au premier tour, puis s’est essayé sur le jump en se disant que ça doit être faisable par du monde si on l’a placé là. Il a malheureusement été éjecté lors de l’atterrissage. Il a subi une entorse à l’épaule et une commotion cérébrale. Ça lui a coûté sept semaines de travail.
Pour lui, désormais, «une transition vers le vélo de route semble inévitable». Et hop! un autre client de perdu, tout comme les autres clients qu’il aurait pu nous apporter. Manuel raconte son expérience en détails sur son blogue. Je vous invite à faire cette lecture. Ne manquez pas le chapitre final intitulé «Pistes d’amélioration» où Manuel pose une série de questions très pertinentes, qui nous font prendre du recul en montrant nos nombreuses lacunes, ne serait-ce que face à certaines informations à diffuser – qui nous semblent évidentes parce qu’on baigne dans ce monde depuis longtemps – mais qu’un néophyte ou parent de néophyte ne possède pas d’emblée (par ex : le processus de réclamation d’assurances vs la FQSC, que Manuel ignorait et dont il n’a pu profiter).
Nous allons discuter de ce sujet (exclusivement !) lors d’une réunion spéciale mercredi prochain le 22 octobre. Tous les cyclistes concernés sont invités à participer et faire valoir leur point de vue. Raphaël Gagné et Michel LeBlanc ont confirmé leur présence. Bruno Vachon, directeur général adjoint à la FQSC sera présent en observateur.
Questions
Voici une série de questions qui pourront alimenter les discussions à ce «Sommet 2.0 régional»:
Nous exposons-nous à ce qu’il se produise sur nos parcours un accident grave, voire fatal?
Devrions-nous faire comme Red Bull et préparer à l’avance un communiqué où nous disons être dévastés d’apprendre le décès d’un de nos coureurs et nos pensées les plus sincères vont à sa famille et ses amis?
En tant qu’organisateurs, clubs, entraîneurs, la sécurité et la réduction des risques d’accidents ne devrait-ils pas être notre priorité ? En d’autres mots, le développement de nos élites doit-il primer sur la sécurité de l’ensemble des coureurs?
Sommes-nous obligés de suivre la tendance adoptée par les instances supérieures ou avons-nous la possibilité de nous montrer plus intelligents qu’eux?
Existe-t-il des moyens de développer notre élite aux exigences du 2.0 autres que les compétitions régionales ?
L’intégration du 2.0 aux parcours régionaux est-elle un moyen efficace d’attirer de nouveaux participants?
L’intégration du 2.0 aux parcours régionaux est-elle un moyen efficace de conserver nos participants?
Existe-t-il un moyen de conserver des sauts et drops sans que la sécurité soit compromise?
Devons-nous faire des recommandations à la fédé?
Une idée de même…
Et si on faisait des jumps, mais qui pourraient être franchissables même à basse vitesse ?