La chronique des suggestions de cadeaux a fait des petits. Elle a inspiré Pierre Gendron, qui nous a pondu un savoureux texte sur une activité trop peu pratiquée : aller au travail en vélo (lire aussi aller à l’école en vélo et pourquoi pas aller encaisser son chèque de BS en vélo). Si sa réflexion peut vous inspirer ou vous fouetter, on sauvera peut-être quelques litres d’essence et la pollution qui va avec.
À toi Pierre.
« Aller travailler à vélo….l’hiver
(le masculin n’est utilisé que pour alléger le texte…et forcer plus de filles à faire du vélo en hiver)
Soyons honnête, il ne faut pas rester trop loin de son travail. Si l’été, avec sa période de clarté plus longue et sa température plus proche de celle de notre corps, peut permettre à un banlieusard d’aller travailler » en ville « , l’hiver, la même randonnée nécessite pour ce même banlieusard un goût profond pour la souffrance et l’inconscience. On a beau aimer le vélo, mais les doigts gelés, le bout du nez blanc, les orteils qui risquent de rester dans ses bas lorsqu’on enlève sa chaussure, des traces de calcium jusque dans les lunettes, des jantes de roue corrodées qui laissent aller les rayons un après l’autre; tout ça ne me semble très loin de l’hédonisme. Ce n’est pas le Club Med.
Par contre si on demeure assez proche de son travail, un petit 20 minutes à vélo en hiver (pas en bas de 20 avant le facteur éolien ) ça peut être rigolo et aider à bien débuter la journée. En tout cas on arrive » à shop » plus allumé que ceux qui viennent de passer une grosse demi-heure assis au chaud dans leur char avec le defrost au max , habillé en hiver , à boire leur Tim Horton .
Mais ne nous faisons pas d’illusion, aller au travail à vélo pose une étiquette à celui qui le fait et lui crée un personnage auprès de ses collègues de travail.
C’est pas vrai qu’on peut arriver à une réunion le matin sans avoir l’air un peu » space « .
Tout d’abord , l’arrivée au travail dérange. La tenue vestimentaire n’est pas trop feng-shui; soit que le cycliste porte les derniers vêtements techniques et à ce moment là l’abondance de couleurs vives et de bandes réfléchissantes provoquent une cécité temporaire chez le gardien de sécurité à la porte; soit qu’un budget plus restreint force le cycliste à faire un amalgame vestimentaire inesthétique mais visant le confort et à ce moment sa crédibilité, son prestige, son » image » en prennent un sérieux coup. Arriver à l’ouvrage avec des survêtements de nylon qui crissent à chaque pas, faire claquer sur le terrazzo des bottes devenues aussi dures que du bois , dire bonjour à tout le monde à l’aide d’un instrument vocal ayant la flexibilité d’un » bucket de pépine « . Voilà l’image matinale que ce cycliste projette Mais dans l’fond cela n’a pas d’importance car l’épaisse couche de givre dans ses lunettes empêche ce cycliste de voir l’émoi et les rires moqueurs qu’il provoque. Et sa cagoule filtre toutes les âneries émises.
Puis on finit par se rendre dans son bureau et enlever tout cet gréement. Son bureau ou place de travail devient un gentil petit séchoir. Son porte-manteau ressemble à l’épouvantail à moineaux du Magicien d’Oz.
Un brin de toilette plus tard si on a à rencontrer d’autres gens et avoir l’air intelligent; alors là ça risque de ne pas être évident tout de suite.
Tout d’abord, même si on a le cardio qui commence à redescendre, on a toujours les extrémités qui reprennent vie : ca picotte de partout et ça peut paraître dans notre visage.
Notre élocution est encore dans le style du patient qui sort de chez le dentiste après le traitement de canal d’une molaire à trois racines Ça prend un certain temps d’adaptation aux autres pour décoder. C’est à ce moment là qu’il faut s’adresser à des gens qui nous connaissent sinon c’est la catastrophe ; la première impression étant celle qui reste dans la mémoire des clients éventuels….à moins de vendre des cours de français langue seconde.
Et il arrive souvent aussi que nos nerfs soient encore en survoltage. Si en hiver, on n’a pas la chance de rouler sur les trottoirs (c’est ce qui est le plus vite déblayé après une chute de neige et aussi le plus vite sablé en cas de glace) la circulation dans la rue est stressante.
D’abord c’est glissant et très rock n roll: notre espace cyclable (le 30 cm de rue qui longe le trottoir) est généralement glacé et très bosselé; ça glisse, ça brasse et évidemment on ne met pas une fourche à suspension dans un tel environnement. Donc avant-bras et épaules en hyper-stress
Il y a aussi les éclaboussures de calcium ou de sloche. Un fois qu’on a fait un » finger » au coupable il n’y a plus rien d’autre à faire que d’avaler …sa fierté d’autant plus que le » finger » n’a été que virtuel si on porte des mitaines. Crier ne donne rien, on doit atteindre l’oreille d’un conducteur qui les a les deux occupées à écouter Marc Durand et sa gang; c’est peine perdue. Marc est plus fort.
Il y a aussi les autobus et taxis; car très souvent on doit utiliser les couloirs réservés à ces mercenaires du transport. Avoir sur son aile arrière une boîte sur roue de 20 tonnes remplie de personnes endormies qui à l’intérieur se balancent comme des blés au gré des égouts pluviaux et trous de toutes sorte n’a rien de relaxant. Et le chauffeur qui est toujours craintif du regard méchant de son inspecteur a tendance à considérer le cycliste comme un obstacle à franchir.
Il est donc préférable en début de réunion de demander la lecture in extenso du dernier procès-verbal, ça permet aux synapses de prendre du slack.
Puis le corps se réapproprie la vie, le travail se déroule assez bien et l’air de son bureau se charge du » soi-même » qui quitte lentement les vêtements accrochés pour annoncer à tous notre choix écolo-sportif de transport
Reste le soir et le retour ; c’est la même chose… sauf que c’est à la noirceur.
Mais il y a un plus : à la maison ça ne surprend plus personne, ça fait partie du décor.
Mais est-ce vraiment un plus? »
Pierre Gendron